Dossiers Spéciaux

Marché interbancaire de la CEMAC : bilan 2023-2025 et perspectives

Le marché interbancaire de la CEMAC – où les banques s’échangent quotidiennement liquidités excédentaires et déficitaires – a connu d’importantes évolutions sur la période 2023, 2024 et le premier semestre 2025. Longtemps atone et fragmenté, ce marché monétaire régional semble amorcer une reprise notable, à la faveur de réformes monétaires et d’une conjoncture changeante. Volumes d’échanges en forte hausse, taux d’intérêt interbancaires fluctuants, comportement contrasté des banques (certaines massivement prêteuses, d’autres structurellement emprunteuses) : le paysage interbancaire en zone BEAC s’est transformé. La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) joue un rôle central dans la gestion de la liquidité, via ses opérations d’injection et d’absorption, influençant directement la vitalité de ce marché. Cet article dresse un état des lieux analytique de ces tendances, en s’appuyant sur les chiffres clés de 2023, 2024 et début 2025, tout en les comparant, lorsque pertinent, à la situation de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA).

Politique monétaire : des taux directeurs en yo-yo

Face aux tensions inflationnistes post-Covid et à la normalisation mondiale des politiques monétaires, la BEAC a adopté un biais résolument restrictif en 2022-2023. Après plusieurs relèvements successifs en 2022, le Comité de Politique Monétaire (CPM) de la BEAC a de nouveau augmenté en mars 2023 son principal taux directeur – le Taux d’Intérêt des Appels d’Offres (TIAO) – de 50 points de base, le portant de 4,50 % à 5,00 %, tandis que le taux de la facilité de prêt marginal passait de 6,25 % à 6,75 %. Cette décision visait à renforcer la stabilité des prix dans un contexte d’inflation élevée, et s’est accompagnée de mesures inédites comme le lancement d’opérations hebdomadaires de reprises de liquidité (absorption) dès mars 2023. Par la suite, la BEAC a maintenu inchangés ces taux directeurs pendant près de deux ans, malgré la persistance d’une inflation supérieure à la cible. Pas moins de sept sessions consécutives du CPM entre mi-2023 et fin 2024 se sont soldées par un statu quo monétaire, conservant le TIAO à 5,00 %, le taux de prêt marginal à 6,75 % et le taux de facilité de dépôt à 0 %. Ce n’est qu’au 24 mars 2025, lors de la première session du CPM de 2025, que la BEAC a amorcé un assouplissement : le TIAO a été abaissé à 4,50 % (-50 pdb) et la facilité de prêt marginal à 6,00 % (-75 pdb), profitant d’une conjoncture plus favorable (inflation en baisse vers 2,9 %, reprise économique à +2,9 %). Ce revirement marque la fin de la phase restrictive et ouvre une ère de détente monétaire, avec l’espoir de soutenir davantage l’activité interbancaire.

Montée en puissance des échanges interbancaires

En parallèle de ces évolutions de taux directeurs, le marché interbancaire de la CEMAC a affiché une nette recrudescence de l’activité. Après une longue période de stagnation, les volumes d’échanges entre banques ont bondi sur 2023-2024. Ainsi, le volume cumulé des opérations interbancaires “en pension livrée” (avec titres en garantie) a quasiment doublé, passant d’environ 2 589 milliards de FCFA en 2022 à 4 943 milliards en 2023. Cette progression spectaculaire reflète un retour de la confiance sur ce compartiment. Rien qu’au mois de décembre 2023, 205 transactions interbancaires ont été enregistrées pour un montant total de 1 148,6 milliards de FCFA, soit plus du double des 164 opérations (573,9 milliards) de décembre 2022. La tendance haussière s’est poursuivie en 2024 : l’encours moyen des prêts interbancaires, toutes maturités confondues, a culminé à 618,5 milliards de FCFA en août 2024, avant de s’établir à 558,1 milliards fin septembre 2024, nettement au-dessus des 429 milliards de septembre 2023. Le pic d’août souligne une intensification saisonnière des échanges, possiblement liée aux besoins de bouclage de bilan à l’approche de la clôture trimestrielle.

Début 2025, le marché affiche des volumes record. En janvier 2025, l’encours global des prêts interbancaires atteignait 669,5 milliards de FCFA, contre 561,7 milliards seulement trois mois plus tôt (octobre 2024) et 407,6 milliards deux ans auparavant (janvier 2023). Le nombre de transactions explose également : les banques de la CEMAC ont réalisé 513 opérations pour un volume de 2 046 milliards de FCFA au cours du mois de janvier 2025, un saut impressionnant par rapport aux 396 opérations (1 558 milliards) comptabilisées trois mois plus tôt. À titre de comparaison, en janvier 2024 on ne dénombrait que 224 opérations pour 952,7 milliards de FCFA – signe que l’activité a plus que doublé en l’espace d’un an. Ces chiffres confirment une franche reprise du marché interbancaire sur la période considérée.

Taux interbancaires : une tension qui s’apaise en 2025

Corollaire de l’animation retrouvée du marché, les taux d’intérêt interbancaires ont fluctué de manière significative. En 2023, dans le sillage du resserrement monétaire de la BEAC, les taux pratiqués entre banques se sont inscrits en hausse par rapport à 2022. Le Taux Interbancaire Moyen Pondéré (TIMP) à 7 jours – indicateur de référence du coût des fonds sur une semaine – s’est établi à 6,86 % en décembre 2023, en moyenne mensuelle, contre 5,87 % un an plus tôt. Sur l’année 2023 dans son ensemble, le TIMP moyen s’élève à 6,23 % (contre 5,76 % en 2022), témoignant du renchérissement du loyer de l’argent. Les opérations “en blanc” (non collatéralisées) ont vu leurs taux osciller entre des extrêmes de 0,5 % (lors de périodes de surplus de liquidité ponctuels) et 8,5 % (en situation de tension) au cours de 2023. Par contraste, les opérations avec pension de titres ont évolué dans une fourchette plus resserrée de 4,0 % à 7,0 %, reflétant la moindre prime de risque lorsqu’un collatéral est apporté. Fait notable, en décembre 2023, le taux moyen des prêts interbancaires garantis par des titres (5,66 %) était inférieur à celui des prêts sans garantie (6,86 %), traduisant la préférence des emprunteurs pour des financements collatéralisés moins coûteux.

L’année 2024 a été marquée par une stabilisation progressive puis un début de détente des taux. Entre octobre 2024 et janvier 2025, le TIMP à 7 jours non collatéralisé a reflué de 6,53 % à 6,13 %, signe d’un léger assouplissement des conditions de liquidité, tandis que le taux moyen des pensions livrées augmentait marginalement de 6,13 % à 6,28 %. Autrement dit, l’écart entre taux “en blanc” et taux sur titres s’est réduit en début 2025, autour de 6,2 % dans les deux segments. Cette détente du coût des fonds interbancaires, amorcée avant même la baisse officielle du taux directeur en mars 2025, suggère que la liquidité devenait un peu moins rare dans le système bancaire. Il convient de souligner toutefois que les conditions varient encore selon les pays et les établissements : en 2023, le taux moyen observé sur les transactions impliquant des banques du Congo atteignait par exemple 8,00 %, contre 5,44 % pour celles concernant des banques du Cameroun. Ces disparités reflètent des situations de liquidité inégales selon les marchés nationaux (banques congolaises plus souvent emprunteuses nettes, contre banques camerounaises plus souvent prêteuses nettes, par exemple) et le niveau de confiance accordé aux contreparties.

Banques prêteuses vs emprunteuses : fragmentation et regroupements

Malgré son expansion, le marché interbancaire de la CEMAC reste concentré entre quelques acteurs majeurs. Historiquement, la fragmentation était forte : seules certaines grandes banques disposant d’excédents de trésorerie – souvent filiales de groupes bancaires panafricains ou internationaux – prêtaient aux établissements plus fragiles ou en déficit de liquidité. Les données récentes indiquent que cette fragmentation persiste en partie, bien qu’en s’atténuant. Ainsi, la BEAC relève que seulement 4 banques de la sous-région ont participé aux opérations de reprises de liquidité (dépôts rémunérés auprès de la BEAC) depuis leur lancement en 2023. Autrement dit, peu d’établissements disposaient d’excédents significatifs à placer auprès de la Banque centrale, tandis que la grande majorité était en quête de ressources. Néanmoins, l’élargissement du nombre de participants actifs sur le marché interbancaire est un signe positif : on est passé de 32 banques participantes fin 2022 à 48 établissements de crédit actifs fin 2023. Cette densification du réseau interbancaire s’explique par les efforts pour restaurer la confiance entre acteurs, via notamment un meilleur partage d’informations sur la solvabilité (centrales des risques) et la mise en place de nouveaux mécanismes de marché.

Désormais, toutes les catégories de banques de la CEMAC – grandes comme petites, et dans tous les pays – interviennent sur le compartiment interbancaire, y compris dans des opérations transfrontalières. Fait notable, bon nombre d’échanges s’opèrent entre banques d’un même groupe bancaire mais localisées dans des pays différents, tirant parti des synergies intra-groupe pour redistribuer la liquidité. Par ailleurs, les maturités traitées tendent à s’allonger légèrement : si l’essentiel des prêts interbancaires demeure de très court terme, autour d’une semaine (environ 38 % des volumes en janvier 2025), on observe une part non négligeable d’opérations à deux semaines (25,8 %) voire un mois (6,7 %), signe d’un début de confiance sur des durées un peu plus longues qu’auparavant, où l’essentiel se négociait au jour-le-jour. Cette évolution est importante : un marché interbancaire plus efficient permet aux banques excédentaires de rentabiliser leur surplus, et aux banques en besoin de se financer à moindre coût qu’auprès de la Banque centrale, améliorant in fine l’allocation du crédit dans l’économie.

La BEAC à la manœuvre : injections ciblées et absorptions limitées

L’action de la BEAC a été déterminante dans la trajectoire du marché interbancaire sur la période. Fin 2022, le système bancaire de la CEMAC connaissait une situation paradoxale : un excédent global de liquidité, notamment grâce aux recettes pétrolières élevées ayant gonflé les dépôts, combiné à une mauvaise circulation de cette liquidité entre banques (phénomène de fragmentation). Concrètement, quelques institutions accumulaient des surplus importants tandis que d’autres étaient en déficit chronique. Pour juguler l’inflation et “assécher” le surplus des banques, la BEAC a drastiquement modifié sa gestion en début 2023. Elle a interrompu ses opérations d’open market d’injection hebdomadaire dès février 2023, visant une “allocation neutre” de liquidité (autonomie des banques). Au moment de cette suspension, le coût moyen des liquidités injectées par adjudication était de 6,33 %, reflétant une situation déjà tendue. En parallèle, la Banque centrale a introduit de nouveaux instruments d’absorption : lancement des Bons BEAC à 14 et 28 jours pour encourager les placements de trésorerie disponibles. Toutefois, le succès de ces absorptions a été mitigé, vu le faible nombre de banques disposées à y souscrire (4 seulement, comme indiqué plus haut).

La conséquence directe de la fin des injections automatiques a été de reporter le financement des banques à besoin de liquidité sur deux canaux : le marché interbancaire d’une part (comme on l’a vu, volumes en forte hausse dès 2023), et le guichet de prêt marginal de la BEAC d’autre part. En effet, les banques incapables d’emprunter suffisamment auprès de leurs consœurs se sont tournées vers ce guichet de dernier ressort malgré son coût supérieur. Les chiffres illustrent ce transfert : en décembre 2023, l’encours moyen des crédits accordés par la BEAC au système bancaire a bondi à 924,8 milliards de FCFA, contre 529,3 milliards un an plus tôt. Cette hausse de 75 % est portée quasi-exclusivement par l’augmentation des avances au titre de la facilité de prêt marginal : le volume moyen emprunté par ce biais est passé de 423,6 milliards à 793,7 milliards de FCFA entre décembre 2022 et décembre 2023. Autrement dit, près de 800 milliards de refinancement étaient obtenus fin 2023 au taux plafond (6,75 %) auprès de la BEAC, preuve qu’un noyau dur de banques restait structurellement dépendant de la liquidité centrale. D’après la BEAC, ces concours d’urgence ont principalement profité aux banques implantées au Cameroun (40,9 %) et au Gabon (34,3 %), ainsi qu’au Tchad (18,7 % – trois pays où certaines banques ont manifestement des trésoreries tendues.

À partir de 2024, la BEAC a dû adapter de nouveau son dispositif. L’absorption de liquidités ayant atteint ses limites et la situation globale basculant vers un déficit de liquidité (notamment sous l’effet d’une forte croissance du crédit bancaire en 2024, +19,6 % selon la BEAC, ce qui a mobilisé les dépôts disponibles), la Banque centrale a recommencé à injecter activement des fonds dans le circuit. Ainsi, entre juin et septembre 2024, le volume des injections nettes est passé de 855,8 milliards à 1 037,0 milliards de FCFA, soit +21 % en un trimestre. Cette augmentation a été menée via la reprise des appels d’offres d’injection hebdomadaires (opérations principales) : l’encours moyen alloué lors de ces adjudications est passé de 126,1 milliards à 228,3 milliards (+81 %) sur la période, marquant le retour d’une politique accommodante. Le recours au guichet marginal restait élevé mais quasi stable autour de 700 milliards. En clair, la BEAC a rouvert les vannes de manière contrôlée pour combler un déficit de liquidité bancaire qui s’était creusé fin 2024 (déficit évalué à 387,7 milliards en net en septembre 2024, contre 166,7 milliards trois mois plus tôt). La baisse officielle des taux directeurs en mars 2025 vient parachever cet accompagnement, offrant un bol d’air monétaire supplémentaire.

Les facteurs explicatifs de la reprise

Plusieurs facteurs clés peuvent expliquer la dynamique observée sur le marché interbancaire de la CEMAC entre 2023 et mi-2025 :

  • Orientation de la politique monétaire : Le passage d’une posture restrictive (2022-2023) à une relative détente (2024-2025) a eu un effet direct. La phase restrictive, via la hausse des taux directeurs et la suspension des injections en 2023, a incité les banques à recourir davantage au marché interbancaire pour se financer, faute de liquidité bon marché fournie par la BEAC. Ce “reflux” de la liquidité centrale a littéralement forcé la réactivation du marché interbancaire, comme en témoigne l’explosion des volumes début 2023 après l’arrêt des refinancements hebdomadaires de la BEAC. À l’inverse, la détente amorcée fin 2024 – avec la réouverture des robinets par la Banque centrale – a soulagé les taux interbancaires fin 2024-début 2025, sans toutefois casser la dynamique des échanges.
  • Niveaux de liquidité bancaire et réserves obligatoires : La distribution inégale des dépôts et des réserves entre banques a fortement influencé le marché. Globalement, la CEMAC a connu un cycle passant d’un excès de liquidité en 2022 (lié à la hausse de la masse monétaire de +13,5 % en 2022, stimulée par la remontée des cours des matières premières) à un déficit de liquidité en 2024 (conséquence d’une croissance du crédit privé très dynamique en 2024 et de la constitution des réserves obligatoires). Les coefficients de réserves obligatoires, maintenus constants (7 % sur dépôts à vue, 4,5 % sur dépôts à terme), ont immobilisé environ 1 050 milliards de FCFA en moyenne fin 2023, limitant d’autant la liquidité disponible pour les prêts interbancaires. Dès lors, la moindre variation des dépôts ou des flux extérieurs se répercute sur la tension du marché. Par exemple, la forte progression des crédits bancaires (+19,6 % sur un an en 2024) a puisé dans les liquidités disponibles, expliquant en partie le retournement vers un besoin net de refinancement la même année.
  • Risque de contrepartie et confiance : Traditionnellement, la frilosité entre banques de la CEMAC a freiné le développement de l’interbancaire, par crainte des défauts de paiement. Les années récentes ont vu d’importants efforts pour améliorer la transparence financière et la supervision bancaire via la COBAC. La mise en place d’un nouveau cadre opérationnel (depuis 2018) et de réformes prudentielles (adoption progressive de Bâle II/III, levée en 2022 des mesures Covid de la COBAC) ont contribué à assainir le secteur. Surtout, des mécanismes comme la centralisation des risques (fichier des crédits) et l’élargissement de la liste des collatéraux éligibles ont permis de réduire le risque perçu. Résultat : la confiance interbancaire se rétablit graduellement, en témoigne la hausse du nombre de participants (+50 % en un an) et la montée de la part des opérations “en blanc” (non garanties) dans le total (l’encours des prêts sans collatéral est passé de 123 milliards à 171,9 milliards FCFA entre décembre 2022 et décembre 2023). Bien que les banques continuent de privilégier les prêts sécurisés par titres (74 % des encours en décembre 2023), la progression des prêts non garantis montre un regain de confiance envers certaines contreparties solvables.
  • Cadre réglementaire et structurel : Enfin, des facteurs réglementaires et structurels jouent un rôle. L’agrément bancaire unique en CEMAC (règlement COBAC de décembre 2024) facilite la mobilité des banques dans la région et pourrait encourager une plus grande intégration des marchés financiers de chaque pays, donc potentiellement plus d’échanges interbancaires transfrontières. La réglementation des concentrations de risques (limites de prêts interbancaires en proportion des fonds propres) demeure cependant un facteur restrictif : les grandes banques ne peuvent prêter indéfiniment à une même petite banque sans risque de dépasser les seuils prudentiels, ce qui limite mécaniquement l’entraide interbancaire envers les établissements les plus fragiles. Par ailleurs, la présence d’alternatives de placement pour les excédents de trésorerie – notamment le marché des titres publics qui offre des rendements attractifs avoisinant 6-10 % – peut détourner les liquidités du marché interbancaire. Beaucoup de banques préfèrent souscrire aux obligations d’État ou aux Bons du Trésor (moins risqués et bien rémunérés) plutôt que de prêter à une autre banque à taux comparable en portant un risque de crédit. Cet arbitrage explique que, malgré l’amélioration, le marché interbancaire de la CEMAC n’a pas encore atteint sa pleine profondeur.

Comparaison avec la zone UEMOA

Une perspective comparative avec l’UEMOA offre un éclairage intéressant. Historiquement plus développé, le marché interbancaire ouest-africain a également traversé des soubresauts récents. En 2023, face à l’inflation, la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) a adopté une posture restrictive similaire à la BEAC. Les volumes hebdomadaires échangés sur l’interbancaire UEMOA sont nettement plus élevés en valeur absolue – de l’ordre de 700 à 800 milliards FCFA par semaine en moyenne –, reflétant la taille plus grande et le nombre d’établissements dans cette union (huit pays, plus de 100 banques). Toutefois, l’année 2024 y a connu une légère contraction de l’activité interbancaire (-3,5 % en volume total sur l’année selon la BCEAO), signe d’un resserrement des liquidités disponible à prêter. Les taux interbancaires dans l’UEMOA ont également grimpé pour atteindre des niveaux comparables à ceux de la CEMAC, autour de 5,5 % à 6 % fin 2023. Par exemple, en juin 2023, le taux moyen à une semaine s’y établissait à 5,53 %, contre environ 6 % en CEMAC. La BCEAO ayant maintenu son principal taux directeur à 3,00 % jusqu’en fin 2023 avant de le relever à 3,50 % (puis de le rebaisser à 3,25 % en juin 2025), l’écart entre taux interbancaire effectif et taux directeur a été marqué, traduisant une situation de tension de liquidité similaire à celle qu’a connue la CEMAC.

La structure du marché diffère néanmoins : l’UEMOA dispose depuis longtemps de mécanismes intégrés (plateforme électronique de négociation interbancaire, fonds de garantie des prêts interbancaires, etc.) qui ont favorisé un fonctionnement plus fluide entre banques de pays différents. La CEMAC est en train de combler une partie de ce retard grâce à ses réformes récentes. Fait notable, début 2025, les volumes mensuels échangés en CEMAC (plus de 2 000 milliards FCFA en janvier) commencent à rivaliser avec ceux de l’UEMOA, où l’on a constaté un repli à environ 637 milliards par semaine en janvier 2025 (contre plus de 800 milliards mi-2023). Autrement dit, l’écart de dynamisme tend à se réduire entre les deux unions monétaires. Néanmoins, la culture interbancaire et la diversification du système bancaire restent plus abouties en UEMOA : les taux interbancaires y sont désormais mieux ancrés autour du taux directeur (grâce à une gestion proactive de la BCEAO) et le marché conserve une profondeur supérieure en termes de participants et de diversité d’instruments.

Vers un marché revigoré, mais à consolider

En l’espace de deux ans, le marché interbancaire de la CEMAC est passé d’un quasi-marasme à une reprise tangible. Porté par la conjugaison d’une politique monétaire volontariste, de la nécessité pour les banques de compenser la raréfaction des refinancements directs de la BEAC, et d’une amélioration de la confiance mutuelle, ce marché autrefois marginal montre des signes de vitalité encourageants. Les volumes échangés ont atteint des sommets historiques fin 2024 – début 2025, le TIMP tend à se rapprocher du taux directeur (ce qui indique une meilleure transmission de la politique monétaire), et davantage d’acteurs y participent activement. On peut donc parler d’une reprise franche du marché interbancaire en zone CEMAC sur la période 2023-2025, contrastant avec la stagnation qui prévalait auparavant.

Pour autant, des défis subsistent afin de pérenniser et amplifier cette dynamique. La concentration des opérations entre quelques grandes banques prêteuses et un noyau de banques emprunteuses doit être réduite : cela passe par un raffermissement de la solidité des banques plus faibles (pour diminuer leur dépendance chronique) et par l’élévation continue du niveau de confiance (notamment via la poursuite des réformes de la COBAC en matière de transparence et de gouvernance bancaire). La BEAC, de son côté, devra trouver le bon équilibre dans la gestion de la liquidité : maintenir suffisamment de stimulation sur le marché interbancaire sans pour autant déclencher de tensions excessives. Son récent geste d’assouplissement monétaire en 2025 pourrait aider à normaliser la situation, mais il conviendra d’éviter un retour à un excès massif de liquidités qui dissuaderait les banques de se prêter entre elles. Enfin, l’intégration financière régionale (avec le rôle des marchés de capitaux via la COSUMAF et la BVMAC, ainsi que l’appui d’institutions comme la BDEAC) constitue un levier important : un marché obligataire dynamique offre des garanties et des opportunités qui peuvent soutenir l’interbancaire, à condition que ces deux compartiments évoluent de pair.

Le marché interbancaire de la CEMAC a amorcé une phase de rattrapage prometteuse par rapport à son homologue de l’UEMOA, reflétant une meilleure circulation de l’argent entre banques de la sous-région. La période 2023-début 2025 aura été celle de la reconstruction de ce maillon essentiel du financement bancaire. Il appartient désormais aux autorités monétaires et prudentielles de consolider ces acquis en veillant à la stabilité du système et à la poursuite des réformes, pour qu’à terme, le réflexe interbancaire devienne pleinement ancré dans les pratiques des banques de la CEMAC. Les bénéfices attendus sont clairs : une allocation plus efficiente des ressources, un soutien accru au crédit à l’économie et une transmission affinée des impulsions de politique monétaire – autant de conditions nécessaires à une croissance durable dans la sous-région.

Oswald M

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