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Le Départ Progressif de Société Générale en Afrique : Une Analyse Stratégique et Contextuelle

Depuis plusieurs années, Société Générale, l’une des plus grandes institutions bancaires françaises, procède à un désengagement progressif de ses activités en Afrique. Ce mouvement, qui s’est accéléré récemment, marque un tournant stratégique pour le groupe, historiquement implanté sur le continent depuis des décennies. À travers la cession de nombreuses filiales africaines, Société Générale redéfinit ses priorités géographiques et opérationnelles dans un contexte économique, concurrentiel et géopolitique en mutation. Cet article propose une analyse approfondie de ce retrait, en explorant ses causes, ses implications pour le secteur bancaire africain et les perspectives qu’il ouvre pour les acteurs locaux et internationaux.

Contexte Historique : Une Présence Forte mais Sous Pression

Société Générale a bâti une présence significative en Afrique, notamment dans les pays francophones, où elle a opéré à travers des filiales dans des marchés clés comme le Maroc, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou encore le Sénégal. Cette implantation s’inscrivait dans une stratégie d’expansion internationale visant à capitaliser sur la croissance démographique et économique du continent. À son apogée, l’Afrique représentait environ 5 % des revenus du groupe, avec des ambitions affichées de doubler cette contribution à l’horizon 2030, comme l’avait prédit Philippe Heim, ancien directeur général délégué, en 2018.

Cependant, cette ambition a été mise à l’épreuve par plusieurs facteurs. La crise du Covid-19 a durement affecté les économies africaines, fragilisant la rentabilité des opérations bancaires dans des marchés déjà caractérisés par des marges limitées et des risques élevés. Parallèlement, la montée des tensions géopolitiques, notamment dans des zones comme le Sahel, a accru l’incertitude pour les investisseurs étrangers. Enfin, la concurrence croissante des acteurs locaux et panafricains, tels que les groupes marocains (Attijariwafa Bank, BMCE Bank of Africa) ou nigérians (Ecobank, UBA), a réduit l’avantage compétitif des banques européennes.

Une Revue Stratégique Amorçant le Retrait

Le tournant stratégique de Société Générale en Afrique a été officialisé dès 2023, avec l’annonce d’une revue de ses activités sur le continent. Contrairement à ses concurrents français comme BNP Paribas, qui ont maintenu ou renforcé leur présence africaine, Société Générale a opté pour un recentrage sur les marchés où elle peut revendiquer une position dominante et une taille critique. Cette logique s’est traduite par la cession de filiales dans des pays où ses opérations généraient des revenus modestes, souvent inférieurs à 30 millions d’euros de produit net bancaire (PNB) par an, comme au Congo, en Guinée équatoriale, au Tchad ou en Mauritanie.

En juin 2023, le groupe a signé des accords avec des acteurs panafricains tels que Vista Group et Coris pour céder ces filiales, avec un impact positif estimé à 5 points de base sur son ratio de fonds propres CET1. Ce mouvement s’est poursuivi en 2024 avec l’annonce du retrait du Ghana, du Cameroun et de la Tunisie, confiée à la banque d’affaires Lazard pour identifier des repreneurs. Le Maroc a également été touché, avec la vente de Société Générale Maroc en 2024, marquant la fin d’une présence historique dans un marché pourtant stratégique.

Ce désengagement ne signifie pas pour autant un abandon total du continent. Société Générale affirme vouloir concentrer ses ressources sur des marchés africains où elle peut maintenir un leadership, comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, tout en développant des synergies avec ses autres métiers (banque d’investissement, gestion d’actifs). Cependant, la fermeture en 2022 de Yup, sa solution de paiement mobile lancée en 2018, illustre les difficultés rencontrées pour s’adapter aux nouveaux usages numériques et concurrencer les fintechs locales.

Les Facteurs Expliquant ce Retrait

1. Rentabilité et Coût du Risque

L’un des moteurs principaux de ce retrait est la recherche d’une meilleure rentabilité. Les filiales africaines de Société Générale, bien que profitables dans certains cas, opèrent dans des environnements où le coût du risque reste élevé, notamment en raison de l’instabilité politique et économique. Rafael Quina, analyste chez Fitch Ratings, soulignait en 2023 que le risque dans certains pays africains dépasse celui observé sur d’autres marchés émergents, rendant ces opérations moins attractives face aux exigences de rentabilité des actionnaires (RONE supérieur à 15 % visé dans le plan « Transform to Grow »).

2. Concurrence et Transformation du Secteur Bancaire Africain

Le paysage bancaire africain a radicalement changé au cours de la dernière décennie. Les groupes bancaires locaux ont gagné en envergure, soutenus par une meilleure connaissance des marchés et une capacité d’adaptation aux besoins des populations, notamment via la banque mobile. Cette concurrence a réduit les parts de marché des acteurs étrangers, tandis que l’émergence des fintechs et des opérateurs télécoms (comme Orange Money ou MTN Mobile Money) a bouleversé les modèles traditionnels.

3. Contexte Géopolitique et Économique

La montée des tensions géopolitiques, notamment dans les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Tchad), a accru les risques pour les investisseurs étrangers. Par ailleurs, les incertitudes économiques post-Covid, combinées à l’inflation mondiale et à la dépréciation des monnaies locales, ont compliqué la gestion des filiales africaines. Ces facteurs ont poussé Société Générale à réévaluer ses priorités, privilégiant des marchés plus stables et prévisibles.

Implications pour le Secteur Bancaire Africain

Le départ progressif de Société Générale ouvre une fenêtre d’opportunités pour les acteurs locaux et panafricains. Les cessions à des groupes comme Vista et Coris illustrent l’émergence d’une nouvelle génération de banques africaines capables de rivaliser avec les géants internationaux. Ce transfert de contrôle pourrait stimuler la concurrence, favoriser l’innovation et accélérer l’inclusion financière, notamment dans les zones rurales où les banques étrangères étaient moins présentes.

Cependant, ce retrait soulève également des questions sur l’attractivité de l’Afrique pour les investisseurs étrangers. Si Société Générale justifie son départ par des considérations stratégiques, il pourrait être perçu comme un signal de prudence par d’autres groupes européens, à l’heure où la Chine et les États-Unis intensifient leur présence économique sur le continent.

Pour les clients, ce changement peut entraîner une période d’adaptation, avec des risques de perturbation dans l’accès aux services bancaires, notamment pour les entreprises dépendantes des réseaux internationaux de Société Générale. À long terme, toutefois, la prise en main par des acteurs locaux pourrait mieux répondre aux spécificités des marchés africains.

Perspectives et Conclusion

Le retrait de Société Générale en Afrique s’inscrit dans une logique de rationalisation globale, où le groupe cherche à optimiser ses ressources et à renforcer sa résilience face aux incertitudes économiques mondiales. Si ce mouvement marque la fin d’une ère pour la banque française sur le continent, il ne signifie pas pour autant un désintérêt total pour l’Afrique, dont le potentiel de croissance reste indéniable.

Pour l’avenir, deux scénarios se dessinent. D’un côté, Société Générale pourrait réussir à consolider sa position dans quelques marchés clés, en misant sur des partenariats ou des activités à plus forte valeur ajoutée. De l’autre, son départ pourrait inciter d’autres acteurs européens à revoir leur stratégie, laissant le champ libre aux banques africaines et aux investisseurs extra-continentaux.

En définitive, ce désengagement reflète les défis auxquels sont confrontées les multinationales dans un monde en transition. Pour l’Afrique, il représente à la fois une perte et une opportunité : celle de voir émerger un secteur bancaire plus autonome, adapté aux réalités locales et porté par des ambitions panafricaines. Le 15 mars 2025, alors que ce processus est encore en cours, il est clair que le paysage bancaire africain est à l’aube d’une transformation profonde, dont les contours restent à définir.

Aminata

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