Cameroun : les banques misent sur la gestion intelligente des files d’attente pour réinventer l’expérience client

Dans les agences bancaires camerounaises, l’attente interminable appartient peu à peu au passé. Une nouvelle révolution silencieuse s’opère : celle de la gestion intelligente des files d’attente, un levier de transformation qui bouleverse l’organisation des guichets, l’accueil des clients et l’image même des institutions financières.
La fin de la file d’attente traditionnelle
Depuis 2023, plusieurs banques du pays — à commencer par la BICEC, la Société Générale Cameroun et la UBA — testent des systèmes numériques capables d’orienter, prioriser et suivre les clients en temps réel. À leur arrivée en agence, les usagers reçoivent un ticket électronique, souvent via borne tactile ou QR code. Les écrans d’affichage les informent ensuite de l’évolution de leur tour, tandis que les conseillers visualisent le flux depuis leurs postes connectés.
Cette technologie, fournie par des sociétés comme BeStar Cameroun ou Servitel-CM, repose sur une logique simple : fluidifier la fréquentation, réduire la frustration et augmenter la productivité. Mais derrière cette simplicité apparente, se cache une mutation profonde du modèle bancaire camerounais.
Un pilier de la transformation digitale
Selon des sources internes au Groupement Interbancaire Monétique de l’Afrique Centrale (GIMAC), près de 60 % des établissements bancaires de la place de Douala ont entamé des projets de digitalisation de l’expérience client, incluant la gestion des files d’attente. Ce mouvement s’inscrit dans la stratégie plus large de banque phygitale, où les canaux numériques complètent les agences physiques au lieu de les remplacer.
« L’expérience en agence reste décisive pour la fidélisation. Réduire le temps d’attente, c’est aussi rétablir la confiance et l’efficacité du service », explique un consultant bancaire à Yaoundé.
L’objectif est double : optimiser le temps de service tout en collectant des données comportementales — combien de clients par heure, quels services les plus demandés, quelles heures de pointe — pour ajuster les ressources en conséquence.
Des bénéfices tangibles
Les premiers retours sont prometteurs. Certaines agences pilotes annoncent jusqu’à 40 % de réduction du temps d’attente et une hausse notable de la satisfaction client. Les files virtuelles permettent aux clients d’obtenir un ticket via smartphone et d’être notifiés avant leur passage, limitant les regroupements dans les halls et les tensions avec le personnel.
Pour les banques, l’intérêt est stratégique : l’automatisation du flux libère du temps pour les opérations à forte valeur ajoutée — conseil, crédit, épargne — et améliore les conditions de travail des agents d’accueil. En parallèle, les données collectées deviennent un actif précieux pour le pilotage interne.
Une adoption encore inégale
Mais la transition reste incomplète. Dans de nombreuses villes secondaires, les agences continuent de fonctionner avec des files physiques. Le coût d’acquisition et de maintenance des systèmes intelligents demeure élevé jusqu’à 25 millions FCFA pour une installation complète (bornes, écrans, logiciels, support technique). À cela s’ajoutent les défis de connectivité et la formation du personnel.
« Ces technologies ne doivent pas créer une fracture entre les grandes agences urbaines et les zones rurales », avertit un cadre du Ministère des Postes et Télécommunications.
L’enjeu, selon lui, est d’intégrer progressivement ces outils dans le maillage national, via des solutions hybrides et des partenariats locaux.
Vers une banque sans attente
À moyen terme, la gestion intelligente des files d’attente pourrait s’étendre à d’autres services financiers : prise de rendez-vous pour crédits, guichets automatiques intelligents, ou pré-enregistrement depuis une application mobile. L’objectif ultime : une banque sans attente, où chaque interaction client est prévisible, fluide et personnalisée.
Le Cameroun n’est pas isolé dans cette dynamique. Au Maroc, en Côte d’Ivoire ou au Kenya, les banques multiplient aussi les projets de “smart branches”. Mais la spécificité camerounaise réside dans la vitesse de cette appropriation, soutenue par un écosystème fintech de plus en plus actif et une clientèle urbaine exigeante.
Un nouveau visage de la relation bancaire
En introduisant la gestion intelligente des files d’attente, les banques camerounaises franchissent une étape symbolique : celle du passage de la patience à la performance.
Ce qui, hier encore, relevait du confort devient aujourd’hui un impératif de compétitivité.
Pour un secteur longtemps jugé lent et bureaucratique, cette modernisation marque peut-être le début d’une nouvelle ère : celle d’une banque centrée sur le client, les données et l’efficacité.
Patrick Tchounjo



