La lutte contre le blanchiment de capitaux dans le secteur bancaire africain : Une analyse des cadres juridiques au sein de la CEDEAO

La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), regroupant 15 pays dont le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, fait face à des défis croissants en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC/FT). Ces phénomènes, alimentés par une économie informelle importante, des flux transfrontaliers non régulés et des faiblesses institutionnelles, menacent la stabilité du secteur bancaire régional. Pour y répondre, la CEDEAO s’appuie sur des cadres juridiques nationaux et régionaux, alignés en partie sur les normes internationales du Groupe d’Action Financière (GAFI). Cet article examine ces dispositifs, leur efficacité et les obstacles à leur mise en œuvre.
Le cadre juridique régional et son alignement sur les normes internationales
La lutte contre le BC/FT dans la CEDEAO repose sur plusieurs piliers. En 2006, le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), basé à Dakar, a été créé sous l’égide de la CEDEAO pour coordonner les efforts régionaux. Le GIABA s’inspire des 40 recommandations du GAFI, qui exigent des États qu’ils criminalisent le blanchiment, identifient les clients des institutions financières (principe KYC – « Know Your Customer ») et mettent en place des unités de renseignement financier (URF).
Au niveau régional, les pays membres ont adopté des lois anti-blanchiment conformes à ces standards. Par exemple, le Nigeria a promulgué le Money Laundering (Prohibition) Act en 2011, renforcé en 2022, tandis que le Ghana dispose du Anti-Money Laundering Act de 2008, amendé en 2020. Dans la zone UEMOA (qui chevauche partiellement la CEDEAO), une directive de la BCEAO impose aux banques des obligations de vigilance et de déclaration des transactions suspectes à la CENTIF (Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières), présente dans chaque pays membre.
Une mise en œuvre entravée par des défis structurels
Malgré ces avancées, l’efficacité des cadres juridiques reste limitée par plusieurs obstacles. Premièrement, l’économie informelle domine dans la CEDEAO, représentant entre 50 % et 70 % du PIB selon les estimations de la Banque mondiale. Cette prédominance complique la traçabilité des flux financiers, car une large part des transactions échappe au système bancaire formel. Au Nigeria, par exemple, le commerce transfrontalier informel avec des pays voisins comme le Bénin facilite le blanchiment via des espèces non déclarées.
Deuxièmement, les capacités institutionnelles varient fortement entre les États. Les URF, bien qu’opérationnelles dans des pays comme le Sénégal ou le Ghana, manquent souvent de ressources humaines et techniques pour analyser les déclarations de soupçons transmises par les banques. En 2021, le GIABA a noté que moins de 30 % des transactions suspectes signalées dans la région donnaient lieu à des enquêtes approfondies, reflétant un déficit de coordination entre les banques, les URF et les autorités judiciaires.
Enfin, la corruption et la faible application des sanctions constituent des freins majeurs. Des évaluations mutuelles du GIABA ont régulièrement classé des pays comme la Guinée ou le Liberia parmi les plus vulnérables, en raison d’une justice peu proactive et de sanctions rarement appliquées contre les contrevenants. Cette faiblesse nuit à la dissuasion et fragilise la crédibilité des cadres juridiques.
Les spécificités du secteur bancaire face au BC/FT
Le secteur bancaire de la CEDEAO, bien que dynamique avec des acteurs comme Ecobank ou Zenith Bank, est particulièrement exposé au blanchiment en raison de sa croissance rapide et de son rôle dans les flux régionaux et internationaux. Les banques doivent jongler entre conformité réglementaire et compétitivité, un équilibre difficile dans un marché où les coûts de mise en œuvre des mesures anti-blanchiment (formation, logiciels de surveillance) sont élevés. Par exemple, la directive UEMOA de 2015 exige des banques qu’elles signalent toute transaction supérieure à 50 millions de FCFA (environ 76 000 euros), mais beaucoup peinent à identifier les opérations douteuses dans un contexte de faible numérisation.
Les flux liés aux matières premières, comme le pétrole nigérian ou l’or malien, amplifient ces risques. En 2020, un rapport du GIABA a mis en lumière l’utilisation de comptes bancaires ouest-africains pour blanchir des revenus issus de l’exploitation illégale de l’or, souvent via des sociétés-écrans basées dans des pays voisins.
Perspectives pour renforcer la lutte
Pour améliorer l’efficacité des cadres juridiques, plusieurs pistes se dessinent. Premièrement, un renforcement des capacités des URF, via des financements et des partenariats internationaux, permettrait une meilleure analyse des données. Deuxièmement, une harmonisation accrue des sanctions au sein de la CEDEAO, avec des peines minimales obligatoires pour le blanchiment, pourrait renforcer la dissuasion. Enfin, l’intégration des technologies, comme l’intelligence artificielle pour détecter les transactions suspectes, pourrait alléger la charge des banques tout en améliorant la traçabilité, bien que cela nécessite des investissements conséquents.
La lutte contre le blanchiment de capitaux dans la CEDEAO repose sur des cadres juridiques ambitieux, alignés sur les normes du GAFI et soutenus par le GIABA. Cependant, leur mise en œuvre reste entravée par l’économie informelle, des faiblesses institutionnelles et une application inégale des sanctions. Dans un secteur bancaire en pleine expansion, ces défis exigent une réponse coordonnée entre les États membres, les régulateurs et les institutions financières. Seule une approche pragmatique, combinant renforcement des capacités et innovation, permettra à la région de protéger son système financier tout en soutenant son développement économique.
Aminata