Les normes ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans la régulation bancaire : Une révolution en marche en Afrique centrale ?

La prise en compte des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) dans le secteur bancaire gagne du terrain à l’échelle mondiale, portée par les pressions des investisseurs, des régulateurs et des attentes sociétales. En Afrique centrale, regroupée au sein de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC – Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Congo, Gabon, Guinée équatoriale), cette dynamique commence à émerger sous l’impulsion de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) et d’initiatives internationales. Cet article explore l’intégration des normes ESG dans la régulation bancaire de la région, les avancées réalisées, et les tensions entre ces objectifs et les priorités économiques locales.
Une adoption progressive sous influence internationale
Les normes ESG visent à orienter les institutions financières vers des pratiques durables : réduire l’impact environnemental des projets financés, promouvoir l’inclusion sociale et renforcer la transparence dans la gestion. Dans la CEMAC, cette transition est encore à ses débuts, mais elle est stimulée par des pressions externes. Les partenaires internationaux, comme la Banque mondiale ou le Fonds Monétaire International (FMI), insistent sur l’intégration de ces critères dans les politiques économiques des pays membres, souvent en lien avec des financements conditionnels. Par exemple, les programmes d’ajustement structurel incluent désormais des recommandations pour limiter le financement de projets à forte empreinte carbone, comme l’exploitation pétrolière non régulée, qui domine des économies comme celles du Gabon et du Congo.
La BEAC, en tant que régulateur monétaire, a commencé à explorer ces enjeux. En 2021, elle a lancé des discussions sur l’intégration des risques climatiques dans la supervision bancaire, suivant l’exemple d’autres banques centrales africaines, comme la Banque du Nigeria. Bien que ces initiatives restent embryonnaires, elles signalent une volonté de s’aligner sur les standards internationaux, tels que ceux promus par le Network for Greening the Financial System (NGFS), dont la BEAC est observatrice depuis 2019.
Les implications pour le secteur bancaire
Pour les banques de la CEMAC, supervisées par la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), l’adoption des normes ESG représente un changement de paradigme. Historiquement, les priorités prudentielles se concentraient sur les ratios de solvabilité et de liquidité, mais les critères ESG introduisent une nouvelle dimension : la durabilité des portefeuilles de prêts. Par exemple, une banque finançant des projets pétroliers ou forestiers sans mesures environnementales pourrait voir ses risques réévalués à la hausse, affectant ses exigences de capital.
Des initiatives concrètes émergent. En 2022, certaines banques commerciales, comme Afriland First Bank au Cameroun, ont intégré des politiques ESG dans leurs stratégies, notamment en finançant des projets d’énergie renouvelable (solaire, hydroélectricité). Ces efforts répondent aussi à la demande croissante des investisseurs étrangers, qui exigent des rapports ESG pour leurs engagements dans la région. Cependant, ces pratiques restent l’exception plutôt que la norme, car la majorité des établissements, souvent de petite taille, manquent des ressources nécessaires pour adapter leurs processus.
Tensions avec les priorités économiques locales
L’intégration des normes ESG soulève des tensions dans une région où les économies dépendent fortement des secteurs extractifs. Le pétrole et les minerais représentent plus de 70 % des exportations de pays comme le Gabon et le Tchad, selon les données de la BEAC. Réduire le financement de ces industries au nom de l’environnement risque de freiner la croissance à court terme, dans des États déjà confrontés à des défis comme la pauvreté (plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté) et le sous-développement infrastructurel.
Sur le plan social, les attentes ESG – comme l’inclusion financière ou l’égalité de genre – entrent en concurrence avec des besoins urgents, tels que l’accès au crédit pour les PME. Les banques locales, déjà contraintes par des exigences prudentielles strictes (ratio de fonds propres de 8 % minimum), hésitent à réorienter leurs ressources vers des projets « verts » ou sociaux, jugés moins rentables à court terme. Par exemple, financer une centrale solaire au Tchad peut répondre aux critères ESG, mais son rendement immédiat est souvent inférieur à celui d’un prêt à une compagnie pétrolière.
Perspectives et défis à relever
Malgré ces obstacles, une révolution ESG dans la régulation bancaire de la CEMAC n’est pas hors de portée. La BEAC pourrait jouer un rôle clé en introduisant des incitations, comme des taux préférentiels pour les banques finançant des projets durables, ou en intégrant les risques ESG dans les stress tests bancaires. Un tel virage a été amorcé en 2023 avec un projet pilote sur l’évaluation des risques climatiques, bien que les résultats ne soient pas encore publics.
Le principal défi reste le financement de cette transition. Adapter les systèmes bancaires aux normes ESG exige des investissements dans la formation, la collecte de données et les technologies de suivi, dans une région où les budgets publics et privés sont limités. Une collaboration avec des partenaires internationaux, comme l’Agence Française de Développement (AFD) ou la Banque Africaine de Développement (BAD), pourrait combler ce fossé, à condition que les projets financés répondent aux besoins locaux.
Les normes ESG marquent le début d’une transformation dans la régulation bancaire en Afrique centrale, portée par des influences mondiales et une prise de conscience croissante des enjeux climatiques et sociaux. Cependant, leur adoption reste freinée par des réalités économiques et des capacités institutionnelles inégales. Si la BEAC et la COBAC parviennent à concilier durabilité et développement, cette « révolution » pourrait non seulement renforcer la résilience du secteur bancaire, mais aussi repositionner la CEMAC comme un acteur responsable sur la scène financière internationale. Pour l’heure, le chemin vers cet équilibre reste semé d’embûches.
Mérimé Wilson