L’Harmonisation des normes prudentielles dans la zone CEMAC : Défis et perspectives pour les banques locales

La Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), regroupant six pays (Cameroun, République centrafricaine, Tchad, Congo, Gabon et Guinée équatoriale), s’efforce depuis des décennies d’assurer la stabilité de son système bancaire à travers une harmonisation des normes prudentielles. Sous l’égide de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) et de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), ces normes visent à renforcer la résilience des banques locales face aux risques financiers tout en favorisant une intégration économique régionale. Cependant, malgré des avancées significatives, des défis structurels persistent, limitant l’efficacité de cette harmonisation et posant des questions sur son impact réel pour les institutions bancaires locales.
Un cadre prudentiel en évolution
L’harmonisation des normes prudentielles dans la CEMAC a débuté dans les années 1990, en réponse aux crises bancaires qui ont secoué la région dans les décennies précédentes. En 1992, la convention signée à Douala a jeté les bases d’une réglementation unifiée, confiant à la COBAC la mission de surveiller et de contrôler les établissements de crédit. Parmi les mesures phares figurent l’imposition de ratios de solvabilité (fonds propres par rapport aux risques pondérés) et de liquidité, inspirés des standards internationaux comme ceux du Comité de Bâle. Ces normes exigent, par exemple, un ratio minimum de fonds propres de 8 % et des seuils stricts pour couvrir les risques de crédit, de marché et opérationnels.
Depuis, la COBAC a progressivement adapté ces exigences pour répondre aux évolutions globales, notamment avec l’introduction partielle des principes de Bâle II et, plus récemment, des discussions sur Bâle III. Ces réformes visent à améliorer la gestion des risques et à éviter les faillites bancaires qui ont marqué les années 1980 et 1990, période où plusieurs établissements ont été liquidés en raison d’une mauvaise gouvernance et d’une insuffisance de capital.
Les défis rencontrés par les banques locales
Malgré ces efforts, l’application des normes prudentielles reste inégale dans la zone CEMAC. Un constat récurrent est la faiblesse des fonds propres de nombreuses banques locales. En 2016, par exemple, lors d’une réunion de la COBAC à Douala, il a été révélé que seules 19 des 52 banques de la région disposaient de fonds propres nets suffisants pour respecter l’ensemble des normes en vigueur. Cette situation reflète une difficulté structurelle : la recapitalisation exige des ressources que beaucoup d’établissements, souvent de petite taille, peinent à mobiliser dans un contexte économique marqué par une dépendance aux revenus pétroliers et une faible diversification.
Un autre défi majeur est la concentration du secteur bancaire. L’harmonisation, bien qu’elle renforce la stabilité, tend à favoriser les grandes banques, souvent filiales de groupes internationaux, au détriment des acteurs locaux. La hausse des exigences de capital a conduit à une consolidation du marché, avec des fusions ou des fermetures d’établissements plus petits, réduisant ainsi la concurrence et limitant l’accès au crédit pour les PME et les populations rurales.
Enfin, la gouvernance interne des banques constitue un obstacle. Des rapports réguliers de la COBAC pointent des lacunes dans la surveillance des risques et une résistance de certains dirigeants à se conformer pleinement aux règlements. Cette situation est aggravée par une économie informelle dominante dans la région, qui complique la collecte de données fiables sur les emprunteurs et accroît les risques de crédit.
Perspectives pour une intégration renforcée
Malgré ces défis, des perspectives positives émergent pour les banques locales dans la CEMAC. L’adoption progressive des normes de Bâle III, avec un accent sur les coussins de capital et la gestion des risques systémiques, pourrait encourager une meilleure résilience face aux chocs économiques, comme ceux liés à la volatilité des prix des matières premières. De plus, l’intégration régionale, si elle est bien menée, pourrait faciliter les flux de capitaux transfrontaliers et stimuler la compétitivité des banques locales.
Pour y parvenir, plusieurs pistes sont envisagées. Premièrement, un soutien accru aux petites banques via des mécanismes de financement ou des partenariats public-privé pourrait alléger le fardeau de la recapitalisation. Deuxièmement, une formation renforcée des dirigeants bancaires sur la gestion des risques et la conformité prudentielle est essentielle pour combler les lacunes en gouvernance. Enfin, une harmonisation plus poussée des systèmes d’information et de reporting entre les pays membres permettrait à la COBAC de mieux superviser le secteur et d’anticiper les crises.
L’harmonisation des normes prudentielles dans la CEMAC représente un levier crucial pour la stabilité financière et l’intégration économique de la région. Si des progrès ont été réalisés depuis les années 1990, les banques locales restent confrontées à des défis structurels qui limitent leur capacité à tirer pleinement parti de ce cadre. Une approche équilibrée, combinant renforcement des exigences, soutien aux petits acteurs et amélioration de la gouvernance, sera déterminante pour transformer ces obstacles en opportunités et assurer un secteur bancaire robuste et inclusif dans la zone CEMAC.
Mérimé Wilson