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Paul Fokam Kammogne : Le champion camerounais qui redéfinit la banque africaine

Dans l’univers bancaire africain, Paul Fokam Kammogne se distingue comme un pionnier dont l’audace et la persévérance ont donné naissance à Afriland First Bank, une institution devenue un étendard de l’entrepreneuriat financier local. Surnommé le « banquier des pauvres » pour son engagement envers l’inclusion financière, cet économiste camerounais a transformé une idée ambitieuse en un groupe bancaire influent, présent dans une dizaine de pays en 2025. À une époque où les grandes banques étrangères dominaient le continent, Dr. Fokam a prouvé que l’Afrique pouvait engendrer ses propres champions financiers, ancrés dans les réalités locales.

Les racines d’un innovateur

Né en 1948 à Bafoussam, dans l’ouest du Cameroun, Paul Fokam Kammogne grandit dans une région rurale où l’accès aux services financiers est quasi inexistant. Diplômé en économie et en gestion, il débute sa carrière dans les années 1970 au sein de la Société Générale de Banques au Cameroun (SGBC), où il gravit les échelons jusqu’à devenir directeur adjoint. Cette expérience dans une banque à capitaux étrangers lui révèle un paradoxe : les institutions financières présentes en Afrique privilégient les élites urbaines et les grandes entreprises, négligeant les populations rurales et les petites structures économiques.

En 1987, à 39 ans, Dr. Fokam décide de rompre avec ce modèle. Il fonde Afriland First Bank avec un groupe d’investisseurs camerounais, dont des entrepreneurs locaux et des membres de la diaspora. L’objectif est clair : créer une banque qui serve les « oubliés » du système, en s’inspirant des mécanismes de l’économie informelle, comme les tontines, ces systèmes d’épargne communautaire très répandus au Cameroun. Avec un capital initial modeste de 300 millions de FCFA (environ 460 000 euros à l’époque), il pose les bases d’une révolution bancaire.

Une croissance ancrée dans l’inclusion

Dès ses débuts, Afriland First Bank se distingue par son approche novatrice. Paul Fokam KAMMOGNE introduit des produits adaptés aux réalités africaines : microcrédits pour les agriculteurs, comptes d’épargne sans frais exorbitants, et financements pour les PME, souvent considérées comme trop risquées par les banques traditionnelles. Cette stratégie porte ses fruits. En dix ans, Afriland devient une des principales banques commerciales du Cameroun, rivalisant avec des géants comme SGBC ou BICEC.

L’expansion régionale suit dans les années 2000. Dr. Fokam étend les opérations d’Afriland en Guinée équatoriale (2001), en République démocratique du Congo (2006), au Libéria et en Ouganda, ciblant des marchés sous-bancarisés. En 2012, l’ouverture d’une filiale à Paris marque une étape symbolique, positionnant Afriland comme un acteur global basé en Afrique. En 2022, le groupe revendique un total bilan de 2 500 milliards de FCFA (environ 3,8 milliards d’euros) et une présence dans 10 pays, selon des rapports annuels.

Un modèle économique audacieux

Le succès de Paul Fokam repose sur un modèle qui allie pragmatisme et innovation. Convaincu que l’Afrique doit financer son propre développement, il mise sur la mobilisation de l’épargne locale. Lors d’une conférence à Yaoundé en 2018, il déclarait : « L’argent dort dans les villages, dans les tontines et sous les matelas. Notre rôle est de le capter et de le transformer en investissements productifs. » Afriland développe ainsi des réseaux d’agents de proximité dans les zones rurales, une stratégie qui préfigure les services bancaires mobiles popularisés plus tard par les fintechs.

Dr. Fokam est aussi un pionnier dans la finance islamique en Afrique centrale. En 2015, Afriland lance une fenêtre conforme à la charia au Cameroun, captant une clientèle jusque-là ignorée par les banques conventionnelles. Ce segment contribue aujourd’hui à environ 10 % des revenus du groupe, selon des estimations sectorielles de 2023.

Résilience face aux tempêtes

Le parcours de Paul Fokam n’a pas été sans embûches. En 2008, une crise interne secoue Afriland, marquée par des tensions avec des actionnaires minoritaires et des accusations de mauvaise gestion. Fokam répond par une restructuration, renforçant la gouvernance et cédant une partie de ses parts à des investisseurs institutionnels comme la Société Financière Internationale (SFI), qui entre au capital en 2010 avec 10 %. Cette ouverture consolide la crédibilité du groupe tout en lui apportant des fonds pour son expansion.

La crise économique liée à la chute des prix des matières premières dans les années 2010 met également le modèle d’Afriland à l’épreuve. Dr. Fokam maintient le cap en diversifiant les activités, notamment via Afriland First Group, qui inclut des filiales dans l’assurance, le leasing et la microfinance. En 2021, le groupe affiche un résultat net de 35 milliards de FCFA, démontrant sa capacité à naviguer dans des contextes difficiles.

Un engagement social et intellectuel

Au-delà de la banque, Paul Fokam Kammogne est un acteur du développement. En 1990, il crée la Fondation Paul Kammogne Fokam pour promouvoir l’éducation et l’entrepreneuriat, finançant des écoles et des bourses pour les jeunes Camerounais. Il est aussi à l’origine de l’Institut Universitaire de Technologie Fotso Victor de Bandjoun, un établissement qui forme des techniciens et ingénieurs depuis 2006.

Auteur prolifique, Dr. Fokam a publié plusieurs ouvrages, dont L’Entrepreneuriat en Afrique : une solution au développement (2012), où il défend une approche endogène de la croissance économique. Son concept de « banque communautaire » inspire aujourd’hui des initiatives similaires dans d’autres pays africains.

Défis et horizons

En 2025, à 77 ans, Paul Fokam reste président exécutif d’Afriland, mais prépare une transition. Ses enfants et neveux occupent des postes clés dans le groupe, suggérant une succession familiale. Parmi les défis à relever figurent la montée des fintechs, qui concurrencent les services de proximité d’Afriland, et la nécessité de renforcer la digitalisation, un domaine où le groupe a pris du retard par rapport à des rivaux comme Ecobank.

Dr. Fokam ambitionne aussi de porter la présence d’Afriland à 15 pays d’ici 2030, avec un focus sur l’Afrique de l’Est. En 2023, il annonçait un plan d’investissement de 100 milliards de FCFA pour moderniser les infrastructures technologiques du groupe, un pari sur l’avenir dans un secteur en pleine mutation.

Un legs monumental

Paul Fokam Kammogne incarne l’esprit d’une Afrique qui se prend en main. En bâtissant Afriland First Bank, il a démontré que des institutions locales pouvaient non seulement survivre, mais prospérer face aux géants internationaux. Son héritage va au-delà des chiffres : il réside dans cette conviction qu’une banque peut être un outil de transformation sociale, au service des communautés qu’elle dessert. En 2025, alors que l’Afrique cherche des modèles pour son autonomie financière, Dr. Fokam demeure une source d’inspiration, un architecte dont l’œuvre continuera d’éclairer le chemin du secteur bancaire continental.

Mérimé Wilson

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