CEMAC : le Cameroun et le Tchad affichent les taux d’intérêt les plus bas de la sous-région au deuxième trimestre 2025

La Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) a publié sa dernière note de politique monétaire révélant une évolution contrastée du coût du crédit dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC). Selon le rapport, le Cameroun (7,92 %) et le Tchad (7,22 %) affichent les taux d’intérêt moyens les plus bas de la sous-région au deuxième trimestre 2025. Ces chiffres se situent bien en dessous de la moyenne régionale estimée à 9,48 %, et très loin du Gabon, où le taux moyen atteint 12,14 %, un record sur la période.
Cette disparité révèle des dynamiques nationales très différentes en matière de politique bancaire, de perception du risque et de comportement des institutions financières. Elle traduit aussi la complexité d’un environnement monétaire où la BEAC cherche à concilier stabilité, croissance et maîtrise de l’inflation.
Les causes d’un différentiel de taux
La première explication tient à la structure du système bancaire. Le Cameroun, qui concentre près de 45 % des actifs bancaires de la CEMAC, dispose d’un marché plus concurrentiel et plus diversifié. Cette densité bancaire entraîne une plus forte compétition sur les taux d’intérêt, obligeant les établissements à ajuster leurs marges pour attirer la clientèle, notamment les grandes entreprises et les opérateurs exportateurs.
Au Tchad, la situation est différente mais tout aussi structurante. Les efforts récents du gouvernement pour stabiliser les finances publiques, réduire les arriérés et améliorer la liquidité bancaire ont permis un meilleur accès au financement domestique. La présence accrue de banques publiques et régionales, conjuguée à des politiques de soutien ciblées pour les PME, a contribué à un coût du crédit plus abordable.
À l’inverse, des pays comme le Gabon et la Guinée équatoriale souffrent d’une structure bancaire plus concentrée et d’un climat économique plus incertain, ce qui incite les banques à appliquer des taux plus élevés pour compenser les risques perçus.
Une dynamique à double tranchant pour la rentabilité bancaire
Des taux plus faibles peuvent stimuler le crédit à court terme, mais ils réduisent les marges nettes d’intérêt et donc la rentabilité des banques. Au Cameroun, la baisse des taux s’est traduite par une progression du volume des prêts, notamment dans les secteurs du commerce, des services et de l’agro-industrie. Cependant, cette expansion s’accompagne d’un risque accru de dégradation du portefeuille de crédit, dans un contexte où les créances en souffrance atteignent déjà 17,4 % dans la région selon la BEAC.
Les banques tchadiennes, de leur côté, bénéficient encore de marges de progression, mais elles doivent composer avec un environnement où la liquidité reste fragile et les coûts opérationnels élevés. Une baisse trop prolongée des taux pourrait fragiliser leur équilibre financier si la rentabilité des actifs ne suit pas la même tendance.
Comparaison régionale et signaux macroéconomiques
Dans la moyenne de la CEMAC, les taux d’intérêt restent volatils et reflètent des réalités économiques contrastées. Le Gabon, avec un taux supérieur à 12 %, illustre les difficultés à canaliser le crédit vers l’économie réelle, tandis que la République du Congo se situe autour de 10 %, traduisant une approche plus prudente de la distribution du crédit.
Cette hétérogénéité met en lumière un défi pour la BEAC : comment piloter une politique monétaire unique dans une union économique où les marchés du crédit évoluent à des rythmes très différents. L’assouplissement monétaire engagé en 2025 a permis de soutenir la liquidité bancaire, mais il n’a pas encore produit un effet homogène sur le coût du crédit à l’échelle de la zone.
Implications pour la politique monétaire et la stabilité financière
La situation du Cameroun et du Tchad montre que la baisse des taux peut être un levier utile pour stimuler le financement de l’économie réelle, à condition qu’elle s’accompagne d’une discipline stricte sur la qualité du crédit. Une politique de taux bas non encadrée pourrait encourager une prise de risque excessive et détériorer la qualité des portefeuilles bancaires.
Pour la BEAC, la priorité est de garantir que l’assouplissement monétaire se traduise par une amélioration effective de l’accès au financement, sans compromettre la stabilité du système financier. Cela implique un renforcement de la supervision bancaire, une amélioration des mécanismes de notation du risque et une promotion active des produits financiers adaptés aux PME, encore trop souvent exclues du crédit bancaire classique.
Recommandations pour une convergence durable
Pour réduire les écarts de taux et renforcer la stabilité financière, trois axes apparaissent essentiels.
D’abord, la consolidation de la concurrence bancaire à l’échelle régionale. En facilitant l’entrée de nouveaux acteurs, notamment des fintechs et des institutions de microfinance solides, la CEMAC pourrait stimuler la compétitivité et réduire les marges excessives.
Ensuite, la diversification du financement des entreprises. Le développement du marché des capitaux, encore embryonnaire, permettrait d’offrir des alternatives de financement moins coûteuses et de soulager la pression sur les banques commerciales.
Enfin, la digitalisation et la transparence du crédit. En favorisant les systèmes d’information de crédit partagés, les banques pourraient mieux évaluer le risque client et ajuster leurs taux en fonction de la solvabilité réelle des emprunteurs, plutôt que sur des perceptions macroéconomiques générales.
Une tendance à surveiller
Le positionnement du Cameroun et du Tchad comme champions du crédit à bas coût dans la CEMAC traduit un volontarisme certain, mais aussi une fragilité potentielle. Si ces politiques parviennent à stimuler durablement l’investissement et la consommation, elles pourraient devenir un modèle régional. Mais si elles entraînent une suraccumulation de risques, la correction pourrait être brutale.
La BEAC devra donc trouver un équilibre subtil entre incitation au crédit et prudence monétaire, tout en soutenant les réformes structurelles qui renforceront la résilience du secteur bancaire. À court terme, la tendance à la baisse des taux est un signal positif pour la reprise. À moyen terme, elle sera durable uniquement si elle s’accompagne d’une amélioration continue de la gouvernance et de la solidité financière des banques de la CEMAC.
Patrick Tchounjo



