BEAC et BVMAC : une ambition régionale freinée par la peur du marché

Malgré les incitations de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) et le soutien de la Banque africaine de développement (BAD), les entreprises de la zone CEMAC restent peu enclines à franchir le pas de la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique Centrale (BVMAC). Le dispositif d’appui financier mis en place pour encourager leur introduction en bourse peine à produire les effets escomptés. En dépit des fonds mobilisés, les candidatures se comptent encore sur les doigts d’une main, traduisant une réticence structurelle face à la culture boursière régionale.
Le programme, lancé dans le cadre du Projet d’appui au marché financier unifié d’Afrique centrale (PAMFUAC), visait à soutenir les entreprises désireuses d’accéder au marché boursier régional. Une enveloppe d’environ 223 780 dollars américains, soit près de 143 millions de FCFA, a été mise à disposition pour couvrir une partie des coûts liés à l’introduction en bourse. Ces fonds devaient financer les frais de conseil, d’audit, de communication financière ou encore les honoraires des autorités de régulation. En théorie, le mécanisme permettait de lever les principaux obstacles financiers identifiés par les acteurs du marché.
Pourtant, près d’un an après son lancement, le bilan est mitigé. Seules deux entreprises, la Société commerciale gabonaise de réassurance (SCG-Ré) et Bange Bank Guinée équatoriale, ont concrétisé leur entrée en bourse en bénéficiant de cet appui. Un résultat qui reste très en deçà des attentes de la BEAC et de la Commission de Surveillance du Marché Financier d’Afrique Centrale (COSUMAF), alors que plusieurs sociétés publiques et privées avaient été initialement identifiées comme candidates potentielles.
Les causes de ce désintérêt sont multiples et révèlent les fragilités profondes du marché financier régional. La première tient à l’insuffisance de l’enveloppe mobilisée. Les coûts d’une introduction en bourse dans la région sont souvent bien supérieurs aux montants offerts par le programme, notamment pour les grandes entreprises dont les besoins de structuration et d’audit sont considérables. Pour une société moyenne, le processus complet d’introduction peut dépasser 200 millions de FCFA, un montant que le dispositif de la BEAC ne couvre que partiellement.
S’ajoute à cela une complexité administrative jugée décourageante. L’entreprise candidate doit obtenir l’approbation successive de la BEAC, de la BAD, de la BVMAC et de la COSUMAF. Ces procédures, parfois longues et mal harmonisées, génèrent un sentiment d’incertitude et alourdissent le calendrier d’introduction. Plusieurs chefs d’entreprise estiment que cette architecture institutionnelle, conçue pour garantir la rigueur du processus, finit par en freiner l’efficacité.
Au-delà des contraintes techniques, le frein culturel demeure l’un des plus puissants. Dans un environnement économique où la transparence financière n’est pas encore la norme, de nombreuses entreprises hésitent à ouvrir leur capital et à publier leurs résultats. L’introduction en bourse implique des obligations de communication, des audits réguliers et une gouvernance plus stricte, perçus comme intrusifs par certains dirigeants. Le manque de culture boursière et de sensibilisation aux bénéfices à long terme du financement par le marché contribue à maintenir une distance entre le secteur privé et la BVMAC.
Le manque de liquidité du marché régional est un autre obstacle. La BVMAC, malgré les réformes récentes et la fusion réussie des anciens marchés de Douala et Libreville, peine encore à attirer des investisseurs institutionnels et à offrir un niveau de transaction satisfaisant. Une entreprise qui s’y introduit ne bénéficie pas encore d’un volume d’échanges suffisant pour garantir la valorisation de son titre ou la fluidité de ses opérations. Plusieurs acteurs du secteur privé redoutent de se retrouver dans une bourse à faible visibilité, incapable de générer une demande réelle pour leurs actions.
Un responsable du marché financier régional confie sous anonymat que « les entreprises craignent de perdre plus qu’elles ne gagnent en s’introduisant sur un marché encore trop étroit ». Pour lui, la solution réside dans un accompagnement plus soutenu que financier, notamment par des programmes de préparation, de coaching et de communication destinés à démystifier le fonctionnement de la bourse.
Les autorités monétaires sont conscientes du problème. La BEAC a récemment commandité une étude pour identifier les obstacles qui bloquent l’accès des entreprises au marché financier. Selon les premières conclusions, la faiblesse de la culture financière, la lourdeur réglementaire, le manque de visibilité des instruments boursiers et l’insuffisance de coordination entre les institutions régionales constituent les principaux freins.
Pour relancer la dynamique, plusieurs propositions circulent. Elles incluent la création d’un fonds d’accompagnement plus conséquent, la simplification des procédures d’admission, la mise en place de mécanismes d’incitation fiscale pour les entreprises cotées et un renforcement du rôle de la BVMAC dans la promotion du marché. La COSUMAF plaide également pour une meilleure éducation financière du tissu économique et pour un dialogue direct avec les organisations patronales de la sous-région.
Dans un contexte où la CEMAC cherche à diversifier ses sources de financement et à réduire sa dépendance à la dette extérieure, l’essor du marché des capitaux demeure un enjeu stratégique. Le paradoxe est que l’argent existe, les institutions sont prêtes à l’accompagner, mais la confiance et la culture du marché restent à bâtir. Tant que ce fossé ne sera pas comblé, la BVMAC continuera d’être un outil sous-utilisé dans une sous-région qui en a pourtant un besoin crucial.
Patrick Tchounjo



