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Digitalisation financière : L’argent mobile, moteur de la révolution bancaire en Afrique de l’Ouest et Centrale

Dans les rues animées de Cotonou comme dans les villages reculés du Tchad, un phénomène transforme le paysage financier : l’essor fulgurant des services numériques, porté par l’argent mobile. En ce début 2025, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC) misent sur cette révolution pour démocratiser l’accès aux services bancaires dans leurs zones respectives, l’UMOA et la CEMAC. Mais si les progrès sont impressionnants, des obstacles subsistent, notamment en matière d’infrastructures et d’éducation numérique.

Une explosion des transactions numériques dans l’UMOA

Dans l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA), l’argent mobile est devenu incontournable. Selon les derniers chiffres de la BCEAO, publiés en février, les transactions électroniques ont grimpé de 25 % en 2024, atteignant une valeur cumulée de 18 000 milliards de FCFA. Des plateformes comme Orange Money, MTN Mobile Money ou Wave dominent le marché, souvent en partenariat avec des banques comme la Banque Atlantique ou Ecobank. « Aujourd’hui, un commerçant à Thiès peut payer son fournisseur à Bamako en quelques clics », illustre Fatimata Sow, responsable des services numériques à la BCEAO.

Cette dynamique est soutenue par une politique volontariste. Depuis 2023, l’institution basée à Dakar a multiplié les initiatives pour promouvoir l’interopérabilité entre opérateurs et banques, permettant aux utilisateurs de transférer de l’argent d’un réseau à un autre sans frais exorbitants. Résultat : dans des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire, plus de 60 % des adultes utilisent désormais un portefeuille mobile, contre 40 % en 2020. « Le numérique est notre levier pour l’inclusion financière », a déclaré le gouverneur par intérim Mamadou Diop lors d’un sommet fintech à Abidjan en janvier.

La CEMAC à la traîne, mais en mouvement

Dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), le tableau est plus contrasté. Bien que la COBAC et la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) encouragent la digitalisation, les progrès restent lents. En 2024, les transactions via argent mobile dans les six pays membres – Cameroun, Centrafrique, Tchad, Guinée Équatoriale, Gabon, Congo – ont atteint 3 500 milliards de FCFA, un chiffre en hausse de 15 %, mais loin derrière l’UMOA. « Nous partons de plus loin, avec des défis d’infrastructures et une population moins urbanisée », explique Paul Nguema, économiste à la BEAC.

Pourtant, des initiatives émergent. Le programme « Mobile Banking CEMAC 2025 », lancé par la BEAC fin 2024, vise à doubler le nombre d’utilisateurs de services numériques d’ici la fin de l’année. Au Cameroun, MTN et Orange intensifient leurs campagnes dans les zones rurales, tandis qu’au Gabon, des start-ups comme PayCard gagnent du terrain. « Chaque compte ouvert est une victoire contre l’exclusion », insiste un responsable de la COBAC basé à Libreville.

Une révolution au service de l’inclusion

L’impact de cette digitalisation dépasse les chiffres. À Porto-Novo, Aminata Koffi, une vendeuse de tissus, raconte : « Avant, je devais voyager deux heures pour déposer mes recettes à la banque. Maintenant, je le fais depuis mon téléphone. » Cette facilité profite surtout aux populations non bancarisées, souvent éloignées des agences traditionnelles. Dans l’UMOA, la BCEAO estime que 12 millions de personnes ont accédé à un service financier pour la première fois grâce au mobile entre 2020 et 2025.

Les petites entreprises en profitent aussi. Au Burkina Faso, des coopératives agricoles utilisent des applications pour payer leurs membres ou contracter des microcrédits en ligne, un modèle que la COBAC tente de répliquer dans la CEMAC. « C’est une transformation profonde de l’économie informelle », note Awa Traoré, analyste fintech à Ouagadougou.

Des obstacles à surmonter

Mais la route est encore longue. Dans les deux zones, la couverture réseau reste inégale : au Niger ou en Centrafrique, des régions entières n’ont pas accès à Internet. L’illettrisme numérique freine aussi l’adoption, notamment chez les plus âgés. « Beaucoup ne savent pas utiliser ces outils ou se méfient des fraudes », observe Jean-Pierre Mbarga, consultant à Yaoundé. En 2024, les arnaques en ligne ont coûté 50 milliards de FCFA dans l’UMOA, un fléau que la BCEAO combat avec des campagnes de sensibilisation.

Côté régulation, les défis ne manquent pas non plus. La COBAC, par exemple, peine à harmoniser les règles entre opérateurs télécoms et banques dans la CEMAC, tandis que la BCEAO doit jongler avec la prolifération des fintechs, parfois peu encadrées. « Nous devons innover sans compromettre la sécurité », résume Fatimata Sow.

Vers un avenir tout numérique ?

En 2025, la BCEAO ambitionne de porter à 75 % le taux de pénétration des services financiers dans l’UMOA d’ici 2030, un objectif jugé réalisable par les experts. Dans la CEMAC, la COBAC se donne jusqu’à 2027 pour atteindre 50 %, un défi ambitieux mais crucial pour réduire les inégalités. Entre-temps, les partenariats public-privé se multiplient, et des innovations comme la blockchain ou les paiements par QR code commencent à émerger.

L’argent mobile redéfinit la banque en Afrique de l’Ouest et Centrale, brisant les barrières géographiques et sociales. Mais pour que cette révolution profite à tous, il faudra plus que des smartphones : des investissements massifs en infrastructures et en éducation seront la clé du succès.

Oswald M

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