Réformes Basel III : Les banques de l’UMOA et de la CEMAC passent au niveau supérieur

C’est une étape décisive pour le secteur bancaire ouest et centre-africain : en ce début 2025, les normes internationales de Bâle III sont pleinement en vigueur dans les zones supervisées par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC). Objectif ? Renforcer la résilience des institutions financières face aux crises, dans des économies encore marquées par des fragilités structurelles. Si les régulateurs saluent une avancée majeure, les défis d’adaptation pour certaines banques locales soulignent les limites de cette transition.
Un bouclier contre les chocs financiers
Lancée après la crise financière mondiale de 2008, la réforme Basel III impose des exigences plus strictes en matière de fonds propres, de liquidité et de gestion des risques. Dans l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA), la BCEAO a progressivement introduit ces normes depuis 2016, avec une échéance finale fixée à 2025. Désormais, les banques des huit pays membres – Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo – doivent maintenir un ratio de fonds propres d’au moins 11,5 %, contre 8 % auparavant. « C’est un bouclier pour protéger notre système bancaire des turbulences », a déclaré Aïssata Tall, directrice de la stabilité financière à la BCEAO, lors d’une conférence à Dakar en février.
Dans la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la COBAC célèbre une victoire symbolique : après des années de retard, la transition vers Basel III, achevée fin 2024, est effective depuis janvier 2025. Les six pays membres – Cameroun, Centrafrique, Tchad, Guinée Équatoriale, Gabon, Congo – ont vu leurs banques soumises à des stress-tests rigoureux l’an dernier, révélant une amélioration globale de leur solidité. « Nous sommes désormais alignés sur les standards mondiaux », s’est félicité Abbas Mahamat Tolli, président de la COBAC, dans un communiqué publié à Libreville.
Des exigences qui changent la donne
Concrètement, Basel III oblige les banques à détenir plus de capital de haute qualité pour absorber les pertes en cas de crise. Le ratio de liquidité à court terme (LCR), qui garantit qu’elles puissent faire face à des retraits massifs sur 30 jours, est également scruté de près. Dans l’UMOA, des géants comme Ecobank ou la Société Générale Côte d’Ivoire ont déjà adapté leurs bilans, augmentant leurs réserves de capital de 15 % en moyenne depuis 2023. Dans la CEMAC, des établissements comme BGFI Bank au Gabon ont suivi le même chemin, profitant de leurs revenus pétroliers pour se mettre en conformité.
Mais cette rigueur a un revers. Pour les petites banques locales, souvent sous-capitalisées, les exigences de Basel III représentent un défi de taille. Au Mali, par exemple, deux institutions régionales ont dû fusionner fin 2024 sous la pression de la BCEAO pour atteindre les seuils requis. « Certaines banques n’ont pas les moyens de suivre », reconnaît Koffi Mensah, analyste financier à Ouagadougou. Dans la CEMAC, la COBAC a accordé des dérogations temporaires à trois établissements tchadiens, mais leur survie reste incertaine.
Une consolidation du secteur en vue ?
Les régulateurs y voient une opportunité. « Basel III pourrait accélérer la consolidation du secteur bancaire », prédit un haut fonctionnaire de la BCEAO, sous couvert d’anonymat. En clair, les fusions et acquisitions pourraient redessiner le paysage bancaire dans les deux zones. Déjà, en Côte d’Ivoire, la rumeur d’un rachat de la Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie (BICI) par un concurrent régional circule depuis janvier. Dans la CEMAC, la COBAC encourage les rapprochements pour éviter des faillites qui fragiliseraient davantage des économies dépendantes du pétrole.
Les bénéfices, eux, sont tangibles. Les stress-tests menés par la COBAC en 2024 ont montré que 85 % des banques de la CEMAC pouvaient résister à une chute de 20 % des dépôts, un scénario impensable il y a cinq ans. Dans l’UMOA, la BCEAO estime que le risque systémique a diminué de 30 % depuis l’adoption progressive de Basel III. « Nos banques sont mieux armées pour financer la croissance sans compromettre leur stabilité », assure Aïssata Tall.
Entre ambition et réalité
Pourtant, des voix critiques s’élèvent. Certains économistes, comme Jean-Paul Tchango de l’Université de Douala, estiment que Basel III, conçu pour les économies développées, ne tient pas assez compte des spécificités africaines. « Nos banques financent peu les PME, qui représentent 80 % de nos économies. Avec ces normes, elles vont encore plus se concentrer sur les grands comptes », déplore-t-il. En outre, la hausse des coûts de conformité pourrait se répercuter sur les clients, avec des frais bancaires en augmentation dans plusieurs pays.
En 2025, la BCEAO et la COBAC entendent poursuivre leur accompagnement. Des formations pour les dirigeants bancaires sont prévues, et des fonds régionaux pourraient être mobilisés pour soutenir les établissements en difficulté. Mais une chose est sûre : avec Basel III, le secteur bancaire de l’UMOA et de la CEMAC entre dans une nouvelle ère, où la solidité prime sur la prise de risques. Reste à savoir si cette transformation profitera autant aux citoyens qu’aux bilans des banques.
Oswald M