Stabilité monétaire : La BCEAO maintient le cap dans un monde incertain

En ce début d’année, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) reste fidèle à sa mission historique : garantir la stabilité monétaire dans les huit pays de l’Union Monétaire Ouest-Africaine (UMOA). Alors que l’économie mondiale traverse une période de turbulences, marquée par une croissance modérée et des tensions géopolitiques, l’institution basée à Dakar s’impose comme une ancre solide pour le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Mais derrière cette résilience apparente, des défis persistent, et les débats sur l’avenir du franc CFA refont surface.
Une parité intacte, une inflation sous surveillance
Depuis sa création, le franc CFA, arrimé à l’euro à un taux fixe de 655,957 FCFA pour 1 euro, est le socle de la politique monétaire de la BCEAO. En 2025, cet ancrage continue de porter ses fruits : l’inflation dans la zone UMOA reste contenue à environ 3,5 %, un niveau enviable comparé à d’autres régions africaines où les prix flambent. Lors de sa dernière réunion du comité de politique monétaire, tenue le 5 mars à Abidjan, la BCEAO a réaffirmé son engagement à maintenir cette stabilité tout en soutenant une croissance économique projetée à 6 % pour l’année, selon les estimations de l’institut d’émission.
Pour y parvenir, la banque centrale ajuste ses injections de liquidités avec précision. « Nous surveillons de près les pressions inflationnistes liées à la hausse des coûts des importations, tout en veillant à ce que les banques disposent des ressources nécessaires pour financer l’économie », a expliqué Mamadou Diop, gouverneur par intérim de la BCEAO, dans un communiqué officiel. En pratique, cela se traduit par une politique de refinancement ciblée : le taux directeur reste fixé à 2,5 %, un niveau bas qui encourage le crédit aux entreprises et aux ménages.
Une reprise post-pandémique bien engagée
La stratégie de la BCEAO s’inscrit dans un contexte de reprise économique amorcée après la crise du Covid-19. En Côte d’Ivoire, locomotive économique de l’UMOA, le secteur agricole (cacao, café) et les investissements dans les infrastructures dopent la croissance. Au Sénégal, le Plan Sénégal Émergent (PSE) continue de porter ses fruits avec des projets comme le Train Express Régional (TER), tandis que le Burkina Faso et le Mali, malgré des défis sécuritaires, bénéficient d’une demande soutenue pour l’or. « La stabilité monétaire nous donne une marge de manœuvre pour investir dans le développement », souligne Aminata Koné, économiste à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan.
Pourtant, cette stabilité a un coût. L’arrimage à l’euro limite la flexibilité de la BCEAO face aux chocs externes, comme la volatilité des prix des matières premières ou la hausse des taux d’intérêt en Europe. En 2024, la Banque Centrale Européenne (BCE) a relevé ses taux pour juguler l’inflation, une décision qui a indirectement pesé sur les réserves de change de l’UMOA. À fin février 2025, ces réserves s’élèvent à 12 500 milliards de FCFA, suffisantes pour couvrir 5 mois d’importations, mais en légère baisse par rapport à l’année précédente.
Le franc CFA, éternel sujet de débat
Si la BCEAO se félicite de sa gestion prudente, des voix s’élèvent pour questionner la pertinence du franc CFA dans un monde multipolaire. Lors d’un forum économique tenu à Lomé en février, l’économiste togolais Kako Nubukpo a relancé le débat : « La parité fixe avec l’euro nous protège, mais elle nous prive aussi d’une politique monétaire autonome adaptée à nos réalités. » L’idée d’une monnaie régionale indépendante, un temps portée par le projet avorté de l’ECO en 2020, revient dans les discussions, bien que sans calendrier précis.
La BCEAO, elle, défend son modèle. « L’arrimage à l’euro reste un gage de crédibilité pour nos partenaires internationaux », a rétorqué un porte-parole de l’institution, rappelant que 60 % des échanges commerciaux de l’UMOA se font avec l’Union Européenne. Les investisseurs étrangers, notamment dans les secteurs minier et énergétique, semblent lui donner raison : les émissions d’obligations souveraines par des pays comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire rencontrent un succès constant sur les marchés.
Perspectives pour 2025 : prudence et ambition
Pour le reste de l’année, la BCEAO prévoit de maintenir sa vigilance. La hausse des prix des denrées alimentaires, exacerbée par des perturbations climatiques dans la région sahélienne, pourrait tester sa capacité à juguler l’inflation. Parallèlement, l’institution mise sur la digitalisation – avec l’essor de l’argent mobile – pour stimuler l’inclusion financière et soutenir la croissance.
Dans un monde où les incertitudes économiques abondent, la BCEAO s’affirme comme un rempart pour l’UMOA. Mais à mesure que les aspirations à plus de souveraineté monétaire grandissent, la question reste posée : jusqu’à quand cette ancre tiendra-t-elle face aux vents du changement ?
Mérimé Wilson