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BOAD : une levée historique d’un milliard d’euros sur 15 ans qui propulse la Banque ouest-africaine dans la cour des grands

La Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) vient d’inscrire une nouvelle page dans l’histoire financière de l’Afrique de l’Ouest. En réussissant une émission obligataire internationale de 1 milliard d’euros sur 15 ans, l’institution régionale franchit un cap stratégique majeur. Cette opération record, la plus importante jamais réalisée par une institution de développement de la zone UEMOA, consacre la crédibilité financière de la BOAD sur les marchés mondiaux et confirme la confiance des investisseurs dans sa gouvernance et sa solidité.

Un signal de confiance des marchés dans la signature BOAD

Cette levée de fonds, réalisée sur le marché international, marque une étape clé pour la stratégie de diversification du financement de la BOAD. Le choix d’une maturité longue — 15 ans — témoigne de la capacité de la Banque à séduire des investisseurs institutionnels de premier plan, dans un contexte mondial marqué par des taux encore élevés et un accès restreint aux capitaux pour les économies émergentes.

Selon les premières informations communiquées par l’institution, cette émission a bénéficié d’une forte demande, avec une sursouscription significative dès l’ouverture du livre d’ordres. Ce succès renforce le statut de la BOAD comme acteur souverain de référence pour le financement du développement en Afrique de l’Ouest, à l’instar d’institutions comme la BAD (Banque Africaine de Développement) ou la BADEA (Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique).

En levant 1 milliard d’euros, la BOAD se dote de ressources à long terme qui permettront de soutenir ses priorités stratégiques : financement des infrastructures régionales, transition énergétique, industrialisation et développement du secteur privé.

Un tournant stratégique dans la politique de financement de la BOAD

Cette émission s’inscrit dans la stratégie décennale 2021-2030 de la BOAD, qui vise à mobiliser des capitaux sur les marchés internationaux pour diversifier ses sources de financement au-delà de la zone UEMOA. L’objectif est clair : accroître la capacité d’intervention de la Banque et réduire sa dépendance vis-à-vis des souscriptions des États membres et des financements concessionnels.

Le succès de cette levée conforte la démarche initiée sous la présidence de Serge Ekue, ancien banquier d’investissement passé par Natixis. Depuis sa nomination en 2020, il a œuvré à repositionner la BOAD sur les standards internationaux de financement, à renforcer sa notation de crédit (actuellement BBB avec perspective stable selon Fitch Ratings) et à aligner sa gouvernance sur les meilleures pratiques des institutions multilatérales.

Cette approche modernisée a permis à la BOAD d’obtenir des conditions de financement favorables, dans un environnement où plusieurs émetteurs africains peinent encore à accéder aux marchés obligataires internationaux.

Comparaison avec les autres institutions de développement

Par cette opération, la BOAD rejoint le cercle restreint des banques de développement africaines capables de lever des fonds à long terme en devises fortes.

En 2024, la Banque Africaine de Développement (BAD) avait levé 2 milliards de dollars à 10 ans, avec une demande excédant les 4 milliards. La Banque de Développement d’Afrique Australe (DBSA) avait mobilisé 750 millions de dollars sur le marché international à la même période. La BADEA, pour sa part, avait placé 500 millions de dollars sur le marché des eurobonds.

La BOAD dépasse désormais ce seuil symbolique du milliard d’euros, affirmant son rang d’acteur majeur au sein du continent. Cette performance est d’autant plus remarquable que la Banque opère dans une zone monétaire – l’UEMOA – composée d’économies de taille moyenne, dont la crédibilité financière est encore en consolidation.

Des enjeux majeurs pour la stabilité et la transformation régionale

Les fonds levés seront orientés vers le financement de projets structurants dans les huit pays membres de l’UEMOA : infrastructures énergétiques, routes, interconnexions régionales, accès à l’eau, digitalisation et agriculture durable. Ces investissements visent à soutenir la croissance, à renforcer la compétitivité régionale et à stimuler la création d’emplois.

L’opération contribue également à asseoir la crédibilité du marché obligataire africain. En émettant sur les marchés internationaux avec succès, la BOAD ouvre la voie à d’autres institutions publiques et semi-souveraines de la région, qui pourraient à leur tour accéder à des ressources longues et stables.

À moyen terme, cette réussite pourrait aussi stimuler le développement du marché régional de la dette en francs CFA, en créant un effet d’entraînement sur les émissions souveraines des États membres de l’UEMOA.

Les risques : taux, change et durabilité

Malgré ce succès, la BOAD devra gérer plusieurs risques structurels. Le premier est lié à l’exposition au taux de change, puisque la dette est libellée en euros alors que les revenus de l’institution sont majoritairement en francs CFA. Une mauvaise gestion du risque de couverture pourrait accroître le coût de la dette en cas de variations de parité euro/CFA.

Le deuxième défi concerne le coût du capital : avec la remontée progressive des taux européens, le service de la dette à long terme pourrait devenir plus lourd, nécessitant une discipline financière accrue et une sélection rigoureuse des projets financés.

Enfin, la Banque devra veiller à ce que cette stratégie d’endettement reste compatible avec son rôle de développement durable. Le marché international attend désormais des émissions vertes ou durables (green bonds, social bonds), un segment sur lequel la BOAD a déjà commencé à se positionner mais qui devra être davantage institutionnalisé.

Une opération qui redéfinit la place de la BOAD dans la finance africaine

Cette levée historique illustre la montée en puissance d’une institution africaine de développement plus intégrée, plus crédible et plus innovante. En accédant à des ressources longues et stables sur les marchés internationaux, la BOAD démontre qu’une gouvernance solide, une notation soutenue et une vision stratégique peuvent attirer la confiance des investisseurs mondiaux.

Au-delà de la prouesse financière, cette opération envoie un message fort : les institutions régionales africaines sont désormais capables de parler le langage des marchés internationaux tout en restant fidèles à leur mission de développement.

Avec ce milliard d’euros sur 15 ans, la BOAD ne se contente pas de financer des projets : elle redessine le paysage financier de l’Afrique de l’Ouest et s’affirme comme un pilier de la souveraineté économique régionale.

Patrick Tchounjo

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