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CEMAC : les banques resserrent l’accès au crédit pour les PME malgré la reprise économique

Alors que la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) amorce une reprise économique portée par la hausse des investissements publics et la stabilité des cours des matières premières, le secteur bancaire affiche un comportement plus prudent. Selon les dernières données de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), les institutions financières de la sous-région ont durci leurs conditions d’accès au crédit, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME), considérées comme plus risquées dans un contexte de tension sur la liquidité et de vigilance réglementaire accrue.

Un resserrement du crédit sur fond d’incertitudes

Depuis le début de l’année 2025, la BEAC observe une contraction progressive du volume de prêts accordés au secteur privé, en particulier aux entreprises de taille intermédiaire. Les banques, confrontées à des exigences plus strictes en matière de solvabilité et de gestion des risques, privilégient les grands groupes et les projets bénéficiant de garanties publiques.

Les PME, pourtant au cœur de la dynamique économique régionale, peinent à obtenir des financements adaptés. Selon les estimations de la BEAC, elles représentent près de 80 % du tissu économique de la CEMAC, mais n’accèdent qu’à moins de 20 % des crédits bancaires. Cette asymétrie structurelle freine l’investissement productif et limite la création d’emplois dans des secteurs clés comme le commerce, l’agro-industrie ou les services.

Les établissements bancaires justifient ce durcissement par un environnement jugé « plus incertain », marqué par la volatilité des prix mondiaux, la hausse des taux directeurs et la persistance de créances douteuses héritées de la période post-pandémique.

Une régulation plus exigeante de la COBAC

Les récentes orientations de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) ont renforcé la prudence des acteurs du secteur. La supervision bancaire exige désormais des ratios de fonds propres plus élevés, un suivi rigoureux des risques sectoriels et une meilleure couverture des créances non performantes.

Cette régulation, salutaire pour la stabilité du système financier, a cependant pour effet de réduire la marge de manœuvre des banques vis-à-vis des emprunteurs plus fragiles. Plusieurs dirigeants d’institutions de microfinance et de banques locales estiment que ces mesures, bien qu’indispensables, doivent s’accompagner de mécanismes de soutien pour éviter l’asphyxie du financement des PME.

Les PME à la recherche d’alternatives

Face à ces contraintes, de plus en plus d’entreprises se tournent vers des solutions de financement alternatives, notamment le leasing, l’affacturage ou les fonds d’investissement spécialisés. Les plateformes de financement participatif et les fintechs régionales commencent également à jouer un rôle d’intermédiation, en proposant des solutions plus souples et mieux adaptées aux besoins des jeunes entrepreneurs.

Cependant, ces dispositifs restent encore marginaux face à l’ampleur du déficit de financement estimé à plus de 15 000 milliards FCFA dans la sous-région, selon la Banque africaine de développement (BAD).

Un enjeu pour la croissance inclusive

L’accès au crédit demeure l’un des leviers les plus déterminants pour accélérer la transformation économique de la CEMAC. Sans financement bancaire suffisant, les PME ne peuvent investir, innover ni se formaliser. Cela compromet à la fois la croissance, la diversification économique et la stabilité sociale.

Les experts plaident pour une réforme coordonnée du système financier régional, articulée autour de trois axes : la modernisation des garanties de crédit, l’amélioration du partage d’informations financières via les bureaux de crédit, et la mise en place d’instruments de garantie publique pour soutenir les prêts aux PME.

Une nécessaire évolution du modèle bancaire

Pour plusieurs observateurs, le défi ne se limite pas à la réglementation. Il appelle à un changement de culture au sein du secteur bancaire, encore trop centré sur les grands comptes et les opérations à faible risque. L’enjeu est désormais d’adopter une approche plus inclusive, appuyée sur la digitalisation, la notation alternative des clients et la mutualisation du risque à travers des partenariats public-privé.

La dynamique de croissance que connaît la CEMAC ne sera durable que si elle s’appuie sur un secteur financier capable d’accompagner les acteurs productifs. Dans une région où les PME sont le moteur de l’emploi et de la création de valeur, le resserrement du crédit pourrait constituer un frein majeur à la relance économique si des ajustements ne sont pas rapidement mis en œuvre.

Patrick Tchounjo

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