BEAC : 800 milliards injectés, mais la soif de liquidité des banques reste insatiable

La Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) a frappé fort. Le 28 octobre 2025, l’institution monétaire régionale a injecté une enveloppe exceptionnelle de 800 milliards FCFA dans le système bancaire de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui regroupe le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad.
Cette opération, d’une ampleur inédite, visait à soutenir la liquidité du système financier régional, dans un contexte marqué par une forte demande de refinancement de la part des banques commerciales. Pourtant, malgré cette offre massive, la demande exprimée par les établissements de crédit a atteint 810 milliards FCFA, soit 10 milliards de plus que l’offre disponible.
Ce léger déficit, bien que marginal en apparence, traduit une tension persistante sur la liquidité bancaire au sein de la CEMAC. Il met en lumière la vitalité d’un marché du crédit en pleine effervescence, mais également les limites d’un écosystème encore dépendant de la régulation monétaire de la BEAC pour son équilibre.
Une tension persistante sur la liquidité bancaire
Les dernières statistiques confirment que la demande de refinancement reste élevée depuis plusieurs mois. Les banques locales, fortement sollicitées par la reprise de l’activité économique, intensifient leurs interventions auprès du secteur privé tout en participant activement aux émissions de titres publics. Ces deux dynamiques conjuguées exercent une pression croissante sur leurs besoins de liquidité à court terme.
La BEAC se trouve ainsi confrontée à un défi d’ajustement permanent : injecter suffisamment de ressources pour soutenir le crédit tout en évitant une surchauffe du marché monétaire. Dans un environnement marqué par la remontée des taux directeurs, la maîtrise de l’inflation et la dépendance croissante des États aux financements intérieurs, la gestion de la liquidité devient un exercice d’équilibre particulièrement délicat.
Un marché monétaire plus actif et plus compétitif
L’intervention du 28 octobre s’inscrit dans le cadre de la politique hebdomadaire de refinancement de la BEAC. En mettant à disposition des banques 800 milliards FCFA, la banque centrale cherchait à répondre à la montée des besoins de financement liés à la progression des crédits aux entreprises et à la consommation. Cette opération confirme la montée en puissance du marché monétaire régional, devenu un instrument central de transmission de la politique monétaire.
Mais la demande excédentaire des banques illustre aussi la vigueur du marché du crédit. Les établissements de la sous-région se livrent une concurrence accrue pour financer les grands projets d’investissement, qu’ils soient publics ou privés. Cette dynamique traduit à la fois une confiance retrouvée dans les perspectives économiques et une volonté affirmée des banques d’accompagner la croissance régionale.
Toutefois, elle met également en lumière certaines fragilités structurelles. Le niveau de transformation des dépôts reste faible, l’épargne longue demeure limitée et les mécanismes de mutualisation de la liquidité entre les pays membres restent perfectibles. Dans ce contexte, la BEAC continue de jouer un rôle d’amortisseur et de catalyseur essentiel du système financier de la CEMAC.
Un indicateur de vitalité et d’alerte
Pour de nombreux analystes, cette tension sur la liquidité n’est pas nécessairement un signal d’alerte, mais plutôt un indicateur de vitalité du système bancaire. Elle traduit un regain d’activité, une demande soutenue de financement et une confiance accrue dans la capacité du crédit à soutenir la croissance. Cependant, elle appelle à une gestion prudente des risques.
Les établissements bancaires doivent veiller à ne pas surexposer leurs bilans dans un environnement régional où les délais de remboursement et la dépendance aux marchés publics peuvent générer des déséquilibres temporaires. Par ailleurs, la diversification des sources de financement, notamment par le biais des marchés de capitaux et des partenariats régionaux, apparaît comme une nécessité pour réduire la pression sur la liquidité de court terme.
Une économie régionale en quête d’équilibre durable
L’opération record du 28 octobre illustre le rôle croissant de la BEAC comme stabilisateur du système financier d’Afrique centrale. En ajustant finement ses instruments monétaires, la banque centrale tente de soutenir la croissance sans compromettre la stabilité macroéconomique.
La CEMAC, en dépit des disparités entre ses économies membres, montre une activité bancaire soutenue et un appétit croissant pour le crédit. Cette dynamique conforte la place du système financier dans la relance économique post-crise, mais elle met aussi en lumière la nécessité d’approfondir le marché monétaire et de renforcer les circuits d’épargne régionale.
Pour consolider cette trajectoire, les autorités devront encourager le développement de produits financiers innovants, promouvoir la bancarisation et renforcer la coopération entre les États membres afin de fluidifier la circulation des liquidités. La vitalité actuelle du marché du crédit est un signe encourageant, mais elle ne pourra être durable que si elle s’appuie sur des fondamentaux solides et une architecture financière mieux intégrée.
Patrick Tchounjo



