Marchés & Financements

CEMAC : le Congo ajuste sa dette et rassure le marché financier régional

Le Trésor public du Congo vient d’opérer, en toute discrétion, un rééchelonnement de 305 milliards FCFA sur le marché des titres publics de la CEMAC. Une décision stratégique qui s’inscrit dans la continuité du Programme national d’optimisation de la trésorerie, lancé un an plus tôt pour mieux maîtriser la gestion de la dette intérieure et améliorer la liquidité budgétaire.

Ce réaménagement, bien que passé sous silence, marque un tournant dans la stratégie financière du pays, confronté à la nécessité de concilier équilibre budgétaire et paiement de ses engagements financiers.

Un ajustement technique pour soulager la trésorerie

Selon des sources proches du dossier, cette opération de rééchelonnement concerne plusieurs emprunts obligataires et bons du Trésor assimilables (BTA) émis sur le marché régional entre 2020 et 2023.
Plutôt que d’opter pour une restructuration formelle, les autorités congolaises ont privilégié une renégociation bilatérale avec les investisseurs institutionnels, principalement des banques et compagnies d’assurance de la sous-région.

Cette approche permet d’étaler le remboursement du principal et des intérêts sur de nouvelles maturités, sans rupture de confiance avec le marché. En pratique, elle offre un bol d’oxygène budgétaire au Trésor, tout en préservant la crédibilité du Congo vis-à-vis de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et du marché financier régional.

Le gouvernement congolais justifie cette manœuvre par la volonté de « maintenir un rythme soutenable de remboursement » et de « libérer des marges de manœuvre pour les dépenses sociales et productives».

Un rééchelonnement dans la continuité des réformes

Ce réajustement s’inscrit dans le sillage du Programme national d’optimisation de la trésorerie, adopté en 2024, qui visait à renforcer la gestion active de la dette et à rationaliser les dépenses publiques.
Le plan prévoyait notamment une priorisation des engagements, un calendrier de remboursement plus flexible et un recours accru aux instruments de financement régionaux.

Pour le Trésor congolais, la gestion de la dette domestique est devenue un enjeu central. Avec un encours supérieur à 1 500 milliards FCFA fin 2024, dont près du quart sur le marché régional, le pays cherche à éviter toute tension de liquidité qui pourrait fragiliser ses relations avec les investisseurs de la CEMAC.

Les autorités misent ainsi sur une stratégie de refinancement maîtrisée, qui consiste à substituer progressivement les dettes à court terme par des instruments à maturité plus longue, tout en maintenant la discipline budgétaire imposée par le Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre de son programme appuyé sur la Facilité élargie de crédit (FEC).

Une gestion de la dette sous surveillance régionale

Le rééchelonnement de 305 milliards FCFA intervient dans un contexte où la CEMAC renforce le suivi de la viabilité des dettes publiques. Sous la supervision de la BEAC et du Comité de stabilité financière, les États membres sont incités à limiter leur recours à l’endettement commercial non concessionnel et à privilégier la transparence dans la gestion de leurs obligations.

Dans son dernier rapport sur la situation économique de la sous-région, la Commission de la CEMAC a d’ailleurs salué les efforts du Congo pour « rétablir la soutenabilité de la dette tout en assurant la continuité du service public ».
Mais elle a aussi mis en garde contre « les risques d’accumulation de nouveaux arriérés intérieurs » si les recettes fiscales ne suivent pas le rythme des dépenses publiques.

Le choix du rééchelonnement s’apparente donc à une mesure d’anticipation, destinée à prévenir de potentielles tensions de trésorerie en 2026, année où plusieurs échéances majeures arrivent à maturité.

Le marché régional, baromètre de confiance

Le marché des titres publics de la CEMAC joue désormais un rôle clé dans le financement des États. Il offre aux Trésors nationaux une source de liquidité plus prévisible que les financements extérieurs.
Cependant, la confiance des investisseurs institutionnels reste étroitement liée à la capacité des gouvernements à honorer leurs engagements dans les délais.

En procédant à un rééchelonnement concerté, le Congo envoie un signal de prudence et de pragmatisme plutôt que de fragilité. La démarche vise à préserver la relation de confiance avec les acteurs du marché tout en garantissant la stabilité macroéconomique.

Selon un analyste basé à Douala, « le Congo a choisi la voie de la transparence discrète : éviter un défaut de paiement sans agiter le spectre d’une crise de solvabilité. C’est une manière de gérer sa dette avec réalisme dans un contexte régional encore sensible ».

Une soutenabilité encore fragile mais mieux encadrée

Si le pays parvient à maintenir la trajectoire actuelle, ce rééchelonnement pourrait renforcer sa position vis-à-vis des bailleurs internationaux.
Le FMI a déjà salué, dans son dernier rapport, les progrès du Congo dans la mise en œuvre des réformes budgétaires et la maîtrise de son endettement. Toutefois, le risque de vulnérabilité demeure, en raison de la dépendance persistante aux recettes pétrolières et de la lente diversification de l’économie.

Pour les observateurs, la clé du succès réside dans la capacité du Trésor à moderniser sa gestion de la dette, améliorer la prévisibilité des flux de trésorerie et accroître la mobilisation des recettes internes.

Dans un environnement régional où la liquidité se resserre et où les besoins de financement augmentent, la gestion prudente de la dette devient un atout de stabilité financière.
Le rééchelonnement discret des 305 milliards FCFA pourrait ainsi apparaître, non pas comme un signe de faiblesse, mais comme une démonstration de maturité financière du Congo.

Patrick Tchounjo

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